15 mai – 15 juin : le mois victorieux des Kurdes

Début mai 2015, les forces kurdes YPG/J et assyriennes (MFS et “Gardes de Khabur”) du canton de Cizîrê ont lancé une opération de reconquête des villages assyriens de la vallée de la Khabur, qui allait prendre le nom de Rûbar Qamişlo, commandant des YPG mort en martyr le 16 mai.

Alors que la situation était difficile pendant tout le mois d’avril le long de la Khabur et que les accrochages se multipliaient, notamment autour de la ville de Til Tamer, soumise à des attaques quotidiennes de l’organisation terroriste djihadiste “Etat islamique” (EI), les YPG/J et leurs alliés ont d’abord combattu l’EI le long de l’autoroute M4 au sud d’Aliyah puis, victorieux, ont déclenché un mouvement audacieux de contournement depuis le nord (Ghranatah, à mi-chemin entre Til Tamer et Aliyah) et le sud de la vallée de la Khabur (Tuwaynah, non loin de Hasakê). Très rapidement, les positions de l’EI sont tombées et les Kurdes sont parvenus le 20 mai dans les monts Abd-el-Aziz, petite chaîne de montage hautement stratégique séparant le Rojava des plaines du Sud de la province de Hasakê. Entre le 21 et le 26 mai, village après village, les YPG ont nettoyé la poche ainsi formés au sud de Til Tamer et éradiqué la menace djihadiste dans le secteur.

Mais les Kurdes ne se sont pas contentés d’éliminer la menace EI dans cette seule région, perdue quelques semaines auparavant. Profitant de la déroute des djihadistes, ils ont regroupé leurs forces et ont fondu sur le front de Mabruka, au sud-ouest de Serê Kaniyê, le 24 mai. Le 26, Mabruka était libérée ainsi qu’une portion supplémentaire de la MA à l’ouest d’Aliyah. Dès lors les opérations se sont déroulées de plus en plus vite :
-le 28 mai le secteur au nord de Mabruka était libéré, entre Bir Shemo et Rawya, ainsi qu’une poche au sud d’Aliyah. La prise de Mabruka a permis aux Kurdes de saisir un arsenal conséquent ;
-le 29 mai un vaste secteur a été libéré à l’ouest, entre la frontière turque et Ajla ;
-les 30 et 31 mai toujours plus à l’ouest, en sortant pour la première fois de la province de Hasakê pour pénétrer dans la province de Raqqa.

A partir du 1er juin, l’avance des troupe kurdes est devenue inexorable, avec prise systématique des villages le long des routes nord et sud menant à Suluq, dernière place forte avant Girê Sepî. Les 5 et 6 juin des opérations connexes ont permis de nettoyer les dernières poches de l’EI au nord des monts Abd-el-Aziz. Le 11 juin, les YPG/J ont démarré l’encerclement de Suluq. Les forces aériennes de la coalition ont alors porté un rude coup à l’EI en anéantissant les silos fortifiés et l’arsenal du groupe. Le 13, Suluq a été totalement encerclée et est tombée dès le 14, tandis que les YPG/J déplaçaient leurs forces vers Girê Sepî à une vitesse ahurissante, puisqu’ils sont parvenus à l’entrée est de la ville le 14 au soir après avoir chassé l’EI de dizaines de villages le long des deux routes menant à Girê Sepî depuis l’est.

Parallèlement, sur le front est de Kobanê, les Kurdes ont profondément modifié leur stratégie et, au lieu de concentrer leurs attaques sur la route directe de Girê Sepî, fortement défendue par l’EI, ils ont entamé un vaste mouvement de contournement vers le sud-est le long de la M4 en direction d’Ain-el-Issa. La libération d’Abu Sera, le 10 juin, a permis aux troupes de Kobanê de déclencher un mouvement tournant vers le nord-est et une percée impressionnante, des dizaines de villages étant libérés : en quatre jours, les troupes de Kobanê ont atteint Ayn-al-Arus, faubourg sud de Girê Sepî.

Le 15 juin, pour la première fois depuis deux ans, les troupes des cantons de Kobanê et de Cizîrê ont fait leur jonction au niveau de Qasariya vers midi. La poche EI formée au nord n’a pas tenu la journée : les troupes des deux cantons ont encerclé Girê Sepî, pris le poste-frontière tandis que des djihadistes fuyaient précipitamment en Turquie. Enfin les YPG/J se sont tournés vers le centre-ville. L’aviation américaine a joué son rôle en anéantissant des positions djihadistes. Vers 19h15, les YPG/J ont communiqué sur la libération de Girê Sepî. A l’heure où ces lignes sont écrites, il reste quelques rues à nettoyer à l’ouest de la ville. Des dizaines de djihadistes ont été tués ou fait prisonniers.

Il ne reste désormais plus que la poche située entre Girê Sepî et Kandal, qui sera facilement réduite compte tenu de son total isolement. La maîtrise complète de la M4 au sud de Girê Sepî ne devrait pas non plus poser beaucoup de difficultés aux forces kurdes. Dès lors, Raqqa, située à 50 km au sud de la M4, sera directement exposée. Les Kurdes pourront par ailleurs tourner leurs forces vers l’ouest de Kobanê, afin de libérer les terres occupées par l’EI et par JAN (Al-Qaeda) entre Kobanê et Afrin.

Mais le plus important, avec la libération de Girê Sepî, est la prise du seul poste-frontière qui permettait à l’EI d’avoir une ouverture complète sur l’extérieur, avec la complicité pleine et entière de la Turquie. Il y a fort à parier que ce poste va être fermé hermétiquement par le régime d’Erdogan à partir de ce jour alors qu’il y a quelques jours encore y circulaient chaque jour entre 7 et 13 millions de dollars de flux, sous forme de pétrole et de produits de pillage dans le sens EI-Turquie ; d’argent, armes, électricité, médicaments, vivres, etc. dans le sens Turquie-EI. Sans compte le flot continu de djihadistes étrangers. La libération de Girê Sepî aura un impact tactique et stratégique majeur et devrait contribuer à affaiblir considérablement l’EI.

Les forces kurdes de Syrie ont accompli depuis septembre 2014, alors qu’il ne restait que trois quartiers de Kobanê sous leur contrôle, des exploits militaires remarquables. De plus en plus elles apparaissent comme les seules capables d’anéantir l’EI, appuyées par l’aviation coalisée. Il est temps que les pays de la coalition qui ne prennent actuellement pas suffisamment part à l’effort déploient enfin un soutien direct et efficace aux YPG/J et au Rojava en général, sans tenir compte des rodomontades d’Erdogan, qui a subi une double défaite en 8 jours : directe et électorale en Turquie, par procuration et militaire à Girê Sepî.