19 ans dans le PKK, 10 ans dans la guérilla

Histoire de Seydi Firat ou comment, entre exils, emprisonnement, engagement dans la lutte armée, on devient président du conseil exécutif du Congrès pour une société démocratique (DTK).

Seydi Firat est né en 1961 à Mus ; en 1980, il sort à peine du lycée : pour la troisième fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’armée turque s’empare du pouvoir en Turquie. Premier exil : le jeune Seydi vit en Allemagne ; il séjournera aussi en France et au Pays Bas, puis au Moyen Orient dans la plaine de la Bekaa et dans les monts Qandil. Il milite au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et devient instructeur dans la guérilla.

En 1999, Abdullah Öcalan, président du PKK, est arrêté et emprisonné ; en 1999 le PKK annonce la fin de la lutte armée. Seydi Firat est chargé d’apporter la preuve de la volonté de paix du PKK en se rendant aux autorités turques accompagné de 8 combattants comme lui. Ils sont immédiatement mis en état d’arrestation condamnés à 15 ans de prison. A la faveur de modifications du Code pénal, il est libéré au bout de 6 ans et retourne dans la lutte.

En 2009, nouvel espoir de reconnaissance des droits pour le peuple kurde, vite avorté : R.T. Erdogan, premier ministre du gouvernement turc, annoncera en grande pompe un plan d’ouverture considéré comme “historique” mais la montagne accouchera d’une souris. Cette fois encore, Seydi Firat accompagnera 34 combattants du PKK qui descendront des monts Qandil, en Irak (voir l’article) pour se présenter au poste frontière turc-irakien de Habour.

Parallèlement à la lutte armée, s’est développée depuis les années 1990, une lutte politique, à travers l’action d’organisations politiques régulièrement interdites et dissoutes et sans cesse reconstituées qui portent aujourd’hui le nom de BDP (Parti de la Paix et de la Démocratie). En juillet 2011, le BDP et le DTK se prononcent conjointement pour une autonomie démocratique au sein des frontières de la Turquie.

Seydi Firat a évolué vers la lutte légale, on le rencontre à Diyarbakir, ce 29 avril 2013 : il est président du conseil exécutif du DTK.

Congrès pour une société démocratique (DTK)

Le site AKB a déjà présenté le DTK, Congrès pour une société démocratique, dans un article paru en 2010. Rappelons que ce mouvement a été créé en octobre 2007 par Yuksel GENC et Hadip DICLE. Yuksel GENK a fait partie du premier groupe de combattants qui, répondant à l’appel lancé par Abdullah Öcalan, s’est présenté le 1er Septembre 1999 aux autorités turques en tant que “groupe de paix pour une solution démocratique”. Journaliste à Özgür Gündem, écrivaine, arrêtée en 2011, elle est toujours détenue à Istanbul à la prison de Bakirkoy. Hadip DICLE est la figure emblématique de la résistance kurde au Kurdistan comme Leyla Zana l’est en Europe : tous les deux ont déjà payé un lourd tribut au combat pour la liberté en restant enfermés plus de dix ans dans les geôles turques, de 1993 à 2004 ; Hadip DICLE a été de nouveau interpellé et est détenu dans une prison de Diyarbakir depuis 2010. Sa réélection de député en 2011 a été invalidée.

Le DTK est une plate- forme qui réunit des intellectuels, des représentants d’organisations de la société civile, des hommes politiques pro-kurdes et des membres du BDP. Il se veut être une organisation “indépendante des Etats et des gouvernements” ; il combat toutes les discriminations liées à l’origine ethnique, aux langues, aux religions, au sexe, et défend la liberté d’expression.
Le DTK, appelé aussi “Assemblée du Kurdistan”, comporte 850 délégués dont 101 siègent au conseil ; 60% des délégués sont élus et 40% sont désignés parmi les acteurs politiques de la région. Le conseil exécutif se réunit 1 fois par mois. 40% des délégués sont des femmes (quota imposé par la structure).

Ahmet Türk et Aysel Tugluk (voir l’article) sont co-président et co-présidente du DTK, Seydi Firat préside le Conseil exécutif. Les délégués se répartissent en 8 commissions selon les domaines suivants : politique et social, culture, économie, écologie, droits des femmes, décentralisation, religions et confessions, diplomatie. Parmi les actions Seydi Firat cite :

“L’organisation d’une conférence sur les Alevis et les Yezidi, la mise en place des droits du travail des ouvriers saisonniers, la défense de la langue kurde, la lutte pour la mise en place d’une loi sur la décentralisation en faveur de l’écologie, le combat pour que toute la lumière soit faite sur les disparitions, l’organisation d’un mouvement de lutte contre la construction de barrages, la campagne sur les droits à la santé”

Le DTK prépare la démocratie de demain

Le DTK prépare la démocratie de demain malgré les tentatives permanentes de l’Etat pour criminaliser son action (arrestations, emprisonnements, procès). Et que pensent-ils de l’ouverture des pourparlers avec Abdullah Öcalan ? Autant dire qu’ils sont à fond pour qu’enfin une résolution définitive soit trouvée qui passe pour eux, comme pour tant d’autres que nous avons rencontrés, par une réforme constitutionnelle. Ils se préparent à l’exercice de la démocratie ; ils sont prêts !

Seydi Firat y croit lui aussi. “Je fais confiance au peuple !”. Ses exils lui ont ouvert l’esprit au monde entier mais son jugement reste bien sévère sur l’Europe :

“l’Europe a toujours agi dans l’intérêt de la Turquie […] Je me souviens d’avoir, en 1999, à Bruxelles, au Conseil de l’Europe, tenté d’expliquer la question kurde ; mais personne ne m’a écouté. Pour autant, je suis persuadé qu’aujourd’hui, l’Europe ne peut plus ignorer les Kurdes, […] les Kurdes occupent les places stratégiques de la région”.

Comment explique-t-il sa sortie de la clandestinité ?

“Plusieurs facteurs ont été déterminants : je me suis toujours occupé de formations théoriques et je n’ai jamais participé directement à des actions violentes ; j’ai vécu avec des Kurdes d’Iran et de Syrie, mais j’ai aussi vécu en Europe. J’ai toujours été un militant de la paix et j’ai formé, avec d’autres personnalités, dont des intellectuels turcs, l’Assemblée de la Paix. Aujourd’hui, je veux construire par les voies légales mais je ne renie aucunement mon engagement dans le PKK.”

Interrogé sur les Kurdes de Syrie, Seydi Firat précise :

“Leur position est juste car ils ne se laissent pas écraser. Ils ne doivent surtout pas se diviser. Ils doivent faire front contre l’Islamisme radical. Au nom du DTK, je réclame une reconnaissance de la communauté internationale qui ne vient décidément pas !”

On se demande vraiment pourquoi. C’est pourtant une question de bon sens!

Marie-Brigitte Duigou.

Photo : M-B Duiguou.