« C’est un peu court, jeune homme » : lettre ouverte au Ministre de l’Intérieur

Monsieur le Ministre,

J’ai écouté attentivement votre réponse à la question posée par le député Frédéric Mathieu lors de la séance du mardi 10 janvier 2023 des questions au Gouvernement. Vous étiez questionné au sujet de l’attaque contre la communauté kurde du 23 décembre 2022, soit dix ans après le triple assassinat du 9 janvier 2013, dont la similitude du mode opératoire dans les deux cas pose question et au sujet duquel il est demandé avec insistance la lever du secret-défense.

Comme vous le savez assurément, dans l’affaire du 9 janvier 2013 des documents classés secret-défense demandés par la Justice ont été effectivement déclassifiés mais caviardés au point de les rendre inutilisables, noircis par une main invisible, celle de « l’Etat profond made in France », dans lequel le lobby turc est très puissant. Un véritable pied de nez à la Justice.

Le député Frédéric Mathieu vous a posé une question précise :

Comme nous savons désormais que l’attentat de 2013 porte l’empreinte des services secrets turcs, la similitude du mode opératoire doit vous inciter à considérer très sérieusement la piste d’une nouvelle ingérence de la Turquie. Entendez-vous travailler sur cette hypothèse, qui soulève une question de souveraineté tout autant que celle de la sécurité des ressortissants d’un peuple ami, qui paie déjà très cher sa simple existence en Turquie ? En ce cas, entendez-vous réduire le secret défense au strict minimum pour que les familles des victimes ne soient pas confrontées à la même absence de réponse que celles des victimes de l’attentat de 2013 ?

Au lieu de répondre sur le fond, vous avez choisi l’ironie et le mépris :

En posant la question comme vous le faites, soit vous ignorez totalement l’État de droit – ou pensez que le ministère de l’intérieur commande des enquêtes soit, malheureusement, vous utilisez ce drame ignoble pour faire croire que l’État français aurait des choses à cacher et ne creuserait pas la piste que vous avez évoquée. Je vous demande, monsieur le député, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, de respecter les principes de l’État de droit.

A la manière de Cyrano de Bergerac et avec tout le respect que je vous dois, je vous répondrai à mon tour : « c’est un peu court, jeune homme ». Dois-je rappeler que Frédéric Mathieu, député dans la première circonscription d’Ille-et-Vilaine, antérieurement cadre de la fonction publique au ministère des Armées, vice-Président de la délégation française à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, a droit au respect, comme tout élu de la République ? La question posée méritait une réponse, non seulement courtoise, mais réfléchie, argumentée et attentive dans le respect du droit, des idées et des personnes.

Vous avez demandé de laisser les magistrats faire leur travail sans aucune pression politique, « d’où qu’elle vienne ». Chiche ! Demain, vous levez le secret-défense ?


André Métayer

Photo : France Kurdistan