Contribution du Syndicat des Avocats de France au projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération avec la Turquie dans le domaine de la sécurité intérieure

Notre première remarque est que le texte d’approbation vise un accord négocié et signé par Claude GUEANT, dont vous avez longuement et a juste titre critiqué la politique. Cet accord a été signé en octobre 2011, tout juste un mois avant l’arrestation de 46 avocats, assimilés à l’incrimination de celui qu’ils défendent, Abdullah Ocalan.

Les avocats sont poursuivis pour terrorisme. Cette introduction pour vous interpeler, fortement, sur le contenu de cet accord, qui trouvera à s’appliquer aux personnes présentes sur le territoire français et pouvant être considérées comme terroriste par l’Etat Turc. Ainsi l’étudiante Sevil SEVIMLI, condamnée le 15 février 2013 à 5 ans de prison pour propagande terroriste, pour avoir détenu le Capital de Marx dans sa chambre d’étudiante et avoir participé à deux manifestations légales (dont celle du 1er mai).

Cet accord s’appliquera surtout aux habitants de la Turquie. Le terrorisme, qui ne fait l’objet d’aucune définition, est une notion entendue très largement en Turquie. Actuellement une cinquantaine de journalistes, cent cinquante élus, des dizaines d’enseignants, des centaines d’étudiants, de syndicalistes et plus de cinquante d’avocats sont poursuivis pour terrorisme. A titre d’exemple, en vertu de l’art. 215 du code pénal turc, le simple fait de parler de certaines personnes constitue une infraction -ex. Ocalan-. Le cadre juridique actuel ne fait pas de distinction entre un combattant armé du PKK et un militant civil appelant à la résolution pacifique du conflit (source rapport de l’Observatoire FIDH-OMCT pour la protection des droits de l’Homme de mai 2012 .

Comment contrôler les données qui seront sollicitées par l’Etat Turc (l’article 7 de l’accord « vise principalement (…) les échanges d’informations », l’article 10 vise plus précisément les cas d’affaire criminelle) Quid du demandeur d’asile qui se verra attribuer le statut de réfugié après plusieurs demandes ? Ce statut est rétroactif et pourtant les données pourront être transmises après le rejet de sa première demande d’asile. La confidentialité à l’égard de son Etat d’origine, la Turquie, prévue par la Convention de Genève sera violée, le mettant en danger. L’échange des données à caractère personnel n’est pas exclu expressément de l’accord et doit impérativement l’être – la nécessité éventuelle de demande d’autorisation à la CNIL n’est pas une garantie réelle.

Concernant l’aide à la « gestion démocratique des foules », compte tenu des restrictions habituelles au droit de manifester en Turquie et de la répression fréquente des manifestations (par la force et par des arrestations et poursuites), une coopération policière en ce domaine n’honore pas la France.

Un dernier rappel, le Conseil d’Etat a annulé l’inscription de la Turquie sur la liste des pays sûrs de l’OFPRA le 23 juillet 2010, au regard « des violences dont sont souvent victimes les ressortissants turcs d’origine kurde ainsi que des limitations à la liberté d’expression en vigueur en Turquie » (CE, 23 juillet 2010, 336034).

Le Président de l’association des avocats contemporains (CHD), Selcuk Kozagacli, arrêté en janvier dernier, lui-même avocat des avocats arrêtés en novembre 2011, a été arrêté en rentrant d’une conférence au Liban. Il aurait pu choisir de ne pas rentrer en Turquie et demander l’asile en France. Mais il a choisi de lutter dans son pays. Tel
qu’il l’a indiqué les avocats de son association n’ont pas cédé sous la junte militaire, ils ne cèderont pas maintenant. Mais en faisant ce choix de maintenir son « action en faveur de la liberté » (asile constitutionnel Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993) cet avocat ne devait pas s’attendre à ce que la France aide à le faire incarcérer.

Paris le 22 février 2013

SAF-2013-02-22