Du Kurdistan à Saint-Macaire

A quelques 3 500 km du Kurdistan, ce vendredi soir, Laurent Girault-Conti, artiste et photographe membre des Amitiés kurdes de Bretagne (AKB) à l’origine de cette rencontre à Saint-Macaire-en-Mauges, regarde l’heure, encore quelques minutes avant le début, s’inquiète. Combien seront-ils à braver le temps maussade et la nuit tombée ? Et si le public ne venait pas ? Mais peu à peu, la salle de la médiathèque Saint Exupéry s’anime au gré des arrivées. On rajoute des chaises, des verres pour le pot de l’amitié, des livres des intervenants sur la table d’accueil… Bien sûr, il serait exagéré de parler de foule mais l’assistance de plus d’une vingtaine de personnes dans cette petite ville de 7200 habitants est rassurante. Le sort des Kurdes ne laisse pas indifférent. La meilleure preuve, la venue depuis la Vendée de trois membres d’une toute nouvelle association pro kurde.

La rencontre des Kurdes n’est jamais un événement dont on sort indemne

Laurent accueille l’assemblée, avec émotion, évoquant ses voyages au Kurdistan, en 1990 et 91, lorsque nous avions réalisé ensemble un carnet de voyage “Sur les chemins kurdes”, puis celui de l’année dernière. Nouveau choc. La rencontre des Kurdes n’est jamais un événement dont on sort indemne…
Madame Marie-Claire Starel, l’adjointe à la Culture de la commune nouvelle de Sèvremoine, dont fait partie Saint-Macaire et qui soutient l’initiative, lance la soirée. Un rappel de la situation des Kurdes s’impose, car s’ils font les gros titres des journaux du fait de leur combat contre Daech, comme lors de la prise de Kobanê, nos mémoires sont vite assaillies par le flot des autres actualités. Et l’évolution du conflit est parfois difficile à suivre. C’est à André Métayer, président-fondateur d’AKB, que revient la présentation de cet historique. Soucieux de ne pas nous égarer dans les sigles des différentes formations politiques, la multiplicité des noms kurdes, la complexité des enjeux politiques et économiques, il s’appuie sur une carte d’une rare précision de cette région du monde, nous transporte des lieux d’affrontements et de répression massive en Turquie aux camps de réfugiés yézidis en Irak, des territoires à l’organisation prometteuse de la Fédération démocratique de Syrie du Nord (Rojava) au Rojhilat (Kurdistan d’Iran) dont on a si peu de nouvelles. Aux côté d’André, François Legeait et Gael Le Ny, photographes, ponctuent l’exposé par le récit de leur propre expérience sur place. Une expérience qui fait déborder leurs émotions et révèle leur enthousiasme quant au confédéralisme démocratique du Rojava qui allie Kurdes, Arabes, Chrétiens, leur admiration pour la parité homme-femme instaurée dans les instances comme au combat, mais aussi leur révolte contre la politique assassine d’Erdoğan et leur déception face à celle de Barzani, leur tristesse enfin devant tant de violence contre un peuple. Le lendemain, ce sont leurs photos qui témoigneront pour eux.
La présentation s’achève, il faut un temps à l’assistance pour s’extraire de cette plongée dans la réalité kurde. Les questions posées cherchent des pistes d’espoir, la confirmation des avancées, les moyens d’aider. Au moment de se quitter, souvent un geste de solidarité ici, à Saint-Macaire, pour lutter contre le sentiment d’impuissance, là-bas.

Quel avenir pour le Kurdistan ?

Samedi, 11 heures. Vernissage à la galerie atelier de Laurent Girault-Conti qui expose les photos de François Legeait et Gael Le Ny aux côtés des siennes.
On y retrouve l’image illustrant l’affiche de l’événement macairois qui, plus encore que le titre « Quel avenir pour le Kurdistan ? », interpelle. Au pied de tours sans âme que l’on pourrait attribuer à n’importe quelle ville du monde, un jeune garçon joue dans un terrain vague inondé. La ville est celle de Diyarbakir, la « capitale » des Kurdes de Turquie que le gouvernement d’Erdoğan tente de « dékurdiser », à coup de répression, d’expulsions et de bulldozers, et dont les maires démocratiquement élus ont été jetés en prison, comme tant d’autres dont le seul crime est de revendiquer ouvertement le respect de leurs droits humains, culturels et politiques. Et l’on se prend à craindre que le sort de l’adolescent de la photo ne soit pas plus enviable… D’autant que les autres clichés ne rassurent pas malgré leurs indéniables qualités esthétiques. Quartiers en ruines, tombes des victimes d’un bombardement turc, camps de réfugiés, manifestation des « Mères du samedi » à la recherche de nouvelles de leurs disparus… Regards trop graves des enfants, visages d’une extrême dignité teintée d’amertume des hommes, expressions des femmes faites de douleur et de détermination. Les photographes rendent la menace qui pèse sur chacun perceptible jusque dans les scènes de vie quotidienne. Et les parties de foot se jouent entre deux rangées de barbelés.

Une exposition pour témoigner de la souffrance d’un peuple, pour la faire connaître et que chacun s’en souvienne, à Saint-Macaire comme à Paris, Bruxelles ou New York, et ainsi contrer cette impunité que l’oubli offre à l’oppression.

Marie Odile Pagniez