Élections législatives en Turquie : rien n’est joué

Cinquante-trois millions d’électeurs sont appelés aux urnes le 7 juin prochain en Turquie pour élire les 550 députés qui, durant quatre ans, vont siéger à Ankara à la Grande Assemblée nationale de Turquie (Türkiye Büyük Millet Meclisi).

Le président Erdoğan, au mépris de la Constitution, est sur tous les fronts et mobilise tous les moyens des institutions de l’Etat pour faire campagne en faveur de son parti islamo-conservateur au pouvoir, l’AKP. Les 24 chaines de télévision diffusent en boucle des messages vilipendant l’opposition et encensant l’AKP. L’inquiétude est grande dans les partis d’opposition et dans les syndicats qui craignent une fraude massive. On se rappelle le “coup de la panne d’électricité” au moment du dépouillement des votes lors de la dernière consultation électorale. Il faut rappeler que l’enjeu est colossal : une large victoire de l’AKP ouvrirait une voie royale pour le président Erdoğan qui rêve d’un pouvoir totalitaire. Il lui faut donc éviter à tout prix l’entrée au Parlement d’un groupe de députés du parti pro kurde, le HDP, qui à coup sur lui ferait perdre la majorité de 2/3 qui lui est nécessaire pour changer la Constitution. Il consacre donc ses attaques sur Selahattin Demirtas, co-président du HDP et s’est en particulier focalisé sur la promesse de celui qui fut son challenger à l’élection présidentielle de supprimer la Direction des Affaires religieuses (Diyanet), espérant ainsi conquérir ou conserver les voix des Kurdes pieux. Le président de cette puissante institution s’est vu offrir par le président Erdoğan une voiture blindée. Pas sûr que ce cadeau, en pleine campagne électorale, sera suffisant pour décider les hésitants. Ils seraient 14 % parmi les Kurdes conservateurs qui votent AKP. 14% écœurés par la politique illisible d’Erdoğan concernant la question kurde, une question niée (“il n’y a pas de problème kurde”) à laquelle s’ajoutent sa gestion de l’affaire du bombardement de Roboski, complètement étouffée, ainsi que son attitude jugée sévèrement face au drame de Kobanê.

Si l’AKP perd la majorité, quelle coalition possible?

Il est difficile de répondre à cette question, les deux partis d’opposition, le CHP (kémaliste) et le MHP (extrême droite), tous les deux nationalistes et laïques, ayant déjà répondu par la négative. Quant au HDP, son chef de file Selahattin Demirtas a fait savoir que son parti n’appréciait pas du tout le revirement opportuniste du parti au pouvoir qui, en pleine campagne électorale, fait tout pour minimiser les négociations en vue d’un règlement pacifique et politique de la question kurde.

Toute alliance est donc écartée à ce jour. Par contre, un coup de force d’un président mis en difficulté et peu respectueux des règles démocratiques est tout à fait imaginable. Erdoğan exerce déjà, dans “une présidence active”, comme il le dit lui-même, un pouvoir de fait sur les institutions et sait les museler si besoin pour continuer à diriger la Turquie d’une main de fer.

Forte mobilisation kurde

La mobilisation kurde est forte. Déjà on peut la mesurer à travers les opérations de votes qui se déroulent en Europe depuis le 8 mai et qui concernent l’ensemble des citoyens de Turquie expatriés. Elles se terminent ce dernier jour du mois et on peut annoncer déjà que la participation approchera les 40% (elle était de 18% pour les élections présidentielles). Il semble qu’elle soit plus forte encore dans la communauté kurde. Un sondage organisé à la sortie des bureaux de vote donnerait 30% de voix en faveur du HDP, ce qui laisse espérer un apport de voix non négligeable pour permettre à ce parti de passer la barre des 10%. Les instituts de sondage sont toujours hésitants et situent le HDP dans une zone critique (entre 9 et 11%) mais les Kurdes croient à leur entrée au Parlement avec un score de 13%. Réelles sont les chances du HDP qui s’appuie sur le bon résultat de gestion administrative et politique de la centaine de villes dont il a pris démocratiquement le contrôle par les urnes. De plus il joue la carte de la diversité culturelle, ethnique, multilingue et multiconfessionnelle : ne voit-on pas des candidats syriaques et arabes ? Le HDP n’est-il pas le Parti de la Démocratie des Peuples, un parti dont l’ambition est de rassembler non seulement les Kurdes mais aussi les autres minorités ? Enfin, depuis longtemps déjà, sous l’impulsion du leader Abdullah Öcalan, les Kurdes jouent à fond la carte de l’égalité des sexes et de la promotion des femmes. Le HDP présente 268 femmes sur 550 candidats, loin devant le MHP (30 candidates), l’AKP (99 candidates) et même le CHP (103 candidates).

En 2011, les élections législatives avaient envoyé au Parlement de Turquie 79 députées sur 550 (soit 14% de femmes, seulement, malgré le fort pourcentage de députées kurdes), loin derrière la France qui n’est pourtant qu’au neuvième rang européen avec 155 députées sur 577 (soit 27 % de femmes).

André Métayer