Elections présidentielles en Turquie : percée significative de Selahattin Demirtaş

Selahattin Demirtas
Selahattin Demirtas
Selahattin Demirtas

A l’issue de la consultation électorale pour élire au suffrage universel le président de la République de Turquie, le Haut-conseil électoral a officialisé la victoire du Premier Ministre R.T. Erdogan, candidat du parti islamo-conservateur AKP, qui s’est imposé avec 51,79% des suffrages devant Ekmeleddin Ihsanoglu (38,4%), candidat commun de l’opposition nationaliste (MHP – parti fasciste – et CHP – parti nationaliste, laïque, membre de l’International socialiste) et Selahattin Demirtaş (9,81%), candidat du HDP, nouvelle formation politique dont l’ambition est de réunir les voix pro-kurdes et celles de la gauche turque en vue de former, au plan national, une vraie force d’opposition. Le taux de participation a été de 74,12%, nettement inférieur au taux de 89% enregistré lors des élections municipales de mars dernier. La victoire du 12ème président de la République de Turquie est nette, mais son succès doit être relativisé au vu de l’appui de tous les rouages du pouvoir dont il a bénéficié et de la complaisance des medias “à sa botte”. L’échec d’Ekmeleddin Ihsanoglu est patent, en recul avec ses 38% par rapport au score de 44,5% réalisé aux élections municipales par les deux formations CHP et MHP qui le soutenaient, sans compter le score des 12 autres petites formations qu’il était sensé représenter. Quant à Selahattin Demirtaş, qui frôle les 10%, on peut estimer qu’il a réussi son pari.

Le score de Selahattin Demirtaş ouvre de nouvelles perspectives

Transformer le parti essentiellement pro-kurde BDP (Parti pour la Paix et la Démocratie) en HDP (Parti de la Démocratie du Peuple) n’était pas gagné d’avance : il fallait convaincre les masses kurdes, dont la revendication première est identitaire et dont une partie est très traditionnaliste, de faire cause commune avec tous ceux, Kurdes, Turcs, Arméniens et autres minorités, qui contestent la politique autoritaire du gouvernement AKP et aspirent à une autre gouvernance, qu’ils soient sunnites, alévis, chrétiens, yezidis ou athées, syndicalistes, écologistes ou militants associatifs. Les principaux thèmes du programme HDP, qui se confondent avec ceux du BDP, témoignent de cette volonté : gouvernance territoriale, autonomie démocratique, éducation dans la langue maternelle, liberté de croyance, droits pour les alévis, liberté pour les prisonniers politiques, non à l’exploitation capitaliste, oui à l’écologie, non aux interventions impérialistes en Syrie, encouragement aux Kurdes de Syrie, non aux mesures discriminatoires contre les homosexuels.

Les urnes ont parlé

Selahattin Demirtaş a conservé l’électorat traditionnel du BDP (5 à 6 %) et l’a même accru dans les villes kurdes : 80% dans les provinces de Şırnak et de Hakkari (90% à Yüksekova), 80% dans les villes de Varto, Nusaybin, Cizre, Uludere et Silopi, 63 % à Diyarbakir, 60 % à Batman. Il a séduit de nouveaux électeurs dans des régions où le BDP était peu implanté (Mersin, Adana, Antalya), il a doublé son nombre de voix à Istanbul (de 4,5 % à 9 %) et Izmir (de 3 à 8%). À Ankara, son score est passé de 0,7 % à 3,5 %. Selahattin Demirtaş a pris également pied dans d’autres régions (Mer Noire, Marmara, Égée, Méditerranée, Anatolie intérieure).

Son score ouvre de véritables perspectives pour les échéances électorales prochaines, à savoir les élections législatives de 2015. Le HDP passerait en effet le seuil fatidique des 10%, qui élimine virtuellement les partis régionaux ou minoritaires de la Grande Assemblée Nationale de Turquie et qui l’obligeait par le passé à présenter des candidats indépendants dans le cadre d’une procédure nettement défavorable par rapport à un scrutin à la proportionnelle. Cette nouvelle donne pourrait permettre de doubler, voir tripler le nombre de députés HDP.

R.T. Erdogan, président

Le premier geste du nouveau président a été de se rendre à la mosquée Eyüp d’Istanbul, pour se recueillir sur la tombe d’Eyüp Sultan, à l’instar de tous les sultans ottomans qui accomplissaient cette démarche avant de monter sur le trône. Curieux geste d’un président d’une République dite laïque, qui se dit vouloir être le président de tous et qui demande à ses détracteurs, qui le qualifient d’autocrate et de dictateur, de revoir leur position.

André Métayer