En interdisant ROJ/TV, c’est la voix du peuple kurde qu’on étrangle

Roj TV, c’est la voix du peuple kurde qui exprime toutes ses souffrances, toutes ses inquiétudes, toutes ses luttes mais aussi tous ses espoirs. C’est tout un peuple qui reste branché 24/24 h sur ce canal, à Diyarbakir, au Kurdistan nord (Turquie) comme au Kurdistan sud (Irak), dans toute la diaspora kurde, en Europe comme dans le reste du monde, comme à Rennes. Roj TV, c’est la voix de l’espérance et de la liberté.

déclare dans un communiqué l’association kurde de Rennes, Amara – Maison du peuple kurde, qui s’insurge contre l’opérateur satellitaire européen Eutelsat qui a décidé d’interdire Roj TV, la chaine de télévision kurde en exil.

Ce que la justice danoise n’avait pas fait , cette société placée sous la coupe des États européens – et dont le siège social est à Paris – a osé le faire sous le prétexte fallacieux de lutte contre le terrorisme.

Il est difficile de ne pas voir la volonté du gouvernement français et d’Alain Juppé en particulier, de “retricoter” les relations distendus entre la France et la Turquie à la suite du vote des députés de sanctionner par la loi le négationnisme des génocides.

En janvier 2011, la ministre française des affaires étrangères de l’époque, Michèle Alliot-Marie, avait soulevé une tempête de protestations en proposant au président Ben Ali le savoir faire français à la police tunisienne pour l’aider à mater la rébellion, ce qui entraina quelques mois plus tard son remplacement à la tête de la diplomatie française par Alain Juppé.

En janvier 2012, son successeur fait encore plus fort et en plus sophistiqué : il fait interdire par une société anonyme, mais sous contrôle d’une organisation intergouvernementale, “la” chaine de télévision kurde vraiment libre avec comme seul motif : le terrorisme. « Toutes les familles kurdes de Rennes, » qui regardent en permanence “leur télé” comme des millions d’autres à travers le monde, « se sentent insultées » dit encore Amara dans son communiqué. “Non, nous ne sommes pas des terroristes”.

Reporters sans frontières dénonce une rhétorique antiterroriste

La lutte antiterroriste est le prétexte à toute exaction, à toute interdiction, sans avoir besoin de justificatif. Personne n’avait imaginé que des gouvernements présumés démocratiques puissent en arriver à se compromettre à ce point. Reporters sans frontières en est abasourdi :

Nous sommes choqués par cette décision unilatérale et scandaleuse, prise au mépris de la liberté d’expression. En suspendant la diffusion de Roj TV, Eutelsat prend une initiative dont s’est bien gardée la justice danoise. La cour n’a jamais ordonné la fermeture de la chaîne, qui a d’ailleurs fait appel de sa condamnation à une peine d’amende,

a rappelé l’organisation.

De la Chine à l’Iran, en passant par l’Arabie saoudite, Eutelsat s’est déjà illustrée par son peu de considération pour la liberté de l’information. L’entreprise contribue désormais à promouvoir une rhétorique ‘antiterroriste’ à la portée politique majeure. Faut-il rappeler qu’il s’agit là de l’argument de choix des régimes répressifs pour justifier leurs atteintes à la liberté de la presse ? C’est encore sous ce prétexte que la Turquie a jeté en prison une trentaine de journalistes il y a moins d’un mois. L’État français, actionnaire d’Eutelsat, est-il prêt à endosser la responsabilité de sa décision ?

C’est une question à poser à tous les candidats à l’élection présidentielle, les seules voix audibles durant la campagne électorale : êtes-vous prêts à endosser la responsabilité d’être complice de la politique liberticide du gouvernement AKP de Turquie ? Êtes-vous prêts à endosser la responsabilité d’être complice d’une politique qui consiste à nier à un peuple le droit de défendre son identité ?

André Métayer