GUÉANT À ANKARA : LA FRANCE ENCOURAGE LA POLITIQUE DU PIRE

Qu’on se rappelle les trois “membres présumés de l’organisation séparatiste kurde PKK” (selon la dépêche de l’AFP) qui avaient été interpellés mardi 20 septembre dans le département des Bouches-du-Rhône à la suite des Rencontres de la Paix d’Aubagne, auxquelles avait participé Emine Ayna, députée kurde de Diyarbakir, et qui ont été remis en liberté à l’issue de leur garde à vue en moins de quarante huit heures, sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux.

L’opération avait pourtant été menée par la prestigieuse Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), diligentée par le juge anti terroriste Thierry Fragnoli qui s’était vanté par ailleurs, dans la revue “Objectif magistrat”, de pratiquer la “diplomatie judiciaire” en collaborant avec “des collègues turcs”. On se souvient également que des juges et des policiers turcs étaient venus par le passé participer, sur le sol français, à des auditions de détenus kurdes, lesquels avaient créé une certaine gêne dans la magistrature française quand ils avaient déclaré reconnaître ceux qui les avaient torturés en Turquie. La collaboration néanmoins continue.

Aujourd’hui on ne peut être que très inquiet alors que la guerre s’intensifie au Kurdistan : les opérations militaires, iraniennes et turques, se poursuivent pour traquer les combattants du PKK dans les monts Qandil situés sur le territoire de la région autonome kurde de l’Irak, au mépris du respect des frontières et au risque de déstabiliser tout le Moyen-Orient. Des affrontements entre forces armées (Turquie/PKK) s’intensifient, faisant des morts et des blessés, même dans la population civile. On déplore aussi des attentats fomentés par des groupuscules radicaux incontrôlés. Les coups tordus des services secrets ne sont pas non plus à exclure.

Et c’est le moment choisi par la France pour annoncer la venue à Ankara le 6 octobre prochain de son ministre de l’intérieur pour signer un accord de coopération contre le “terrorisme”.

Le journal très pro-gouvernemental turc Zaman a affirmé que cet accord sera le premier du genre jamais signé par Ankara avec un pays influent de l’Union européenne et qu’il pourrait permettre l’extradition de membres importants du Parti des Travailleurs du Kurdistan arrêtés sur le sol français.

“Principal opposant avec l’Allemagne à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, la France entretient des relations compliquées avec les autorités d’Ankara” dit l’AFP. En clair, pour préserver nos intérêts commerciaux et stratégiques, on négocie sur le dos des Kurdes. C’est un véritable encouragement pour la poursuite d’une stratégie de l’affrontement sans issue.

Le premier ministre Erdogan, dont le comportement ressemble furieusement à celui du président Sarkozy, claironne et fanfaronne sur l’air de la fermeté et de l’intransigeance. Ne menace-t-il pas d’envahir le Kurdistan irakien, fort de l’appui du président américain Obama qui va lui fournir, en remplacement des drones israéliens, des Predator américains pour lutter “contre le terrorisme”? Et ce, en échange de l’autorisation d’implanter en Turquie le bouclier antimissile de l’OTAN pour surveiller l’Iran.

Mais en coulisse, la classe politique turque s’inquiète car ni l’armée, ni la police, ni l’administration d’Etat ne contrôlent la rue dans les provinces kurdes de Turquie, en dépit des arrestations massives : plus de 5 000 militants et élus associatifs et politiques sont aujourd’hui détenus dans les geôles turques, les derniers en date étant les maires de Sirnak, Silopi et Idil écroués le 23 septembre dernier ainsi que le responsable du parti pro kurde BDP de Silopi.

Ce n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé dans les pays arabes.

Les députés du BDP mettent un terme au boycott qu’ils maintenaient depuis leur élection en juin dernier et ont décidé lucidement de faire leur entrée au Parlement le 1er octobre. RT Erdogan saisira-t-il cette dernière chance pour ouvrir de vraies négociations ?

André Métayer