Il faudra compter avec les Kurdes en Syrie, malgré l’opposition farouche d’Erdoğan

Interrogé par l’AFP, Mutlu Civiroglu, ancien coordonnateur des Relations Internationales du HADEP en 2002, journaliste basé à Washington connu internationalement comme un spécialiste de la question kurde telle qu’elle se pose en Syrie et en Turquie, a considéré que les Kurdes du Rojava n’avait pas l’intention de rester les bras croisés face à leur incroyable éviction des négociations qui s’ouvrent à Genève :

acteurs incontournables de la tentaculaire crise syrienne, les Kurdes, qui contrôlent désormais 14% du pays et les trois-quarts de la frontière syro-turque, ne sont pas associés aux pourparlers de Genève, en raison de l’opposition farouche de la Turquie, qui considère leur parti, le PYD, comme « terroriste » et craint les répercussions sur sa propre communauté kurde. En annonçant un système fédéral et l’union de trois cantons kurdes (Afrin, Kobanê et Cêzirê) et les régions récemment conquises dans le nord syrien au sein de leur zone d’administration autonome, les Kurdes adressent un message politique aux négociateurs de Genève.

L’annonce a été faite à Rimêlan, dans le canton de Cêzirê au Rojava, lors d’une réunion de plus de 200 représentants de partis kurdes, arabes et assyriens. “Le système fédéral a été approuvé pour la région du Rojava/Nord de la Syrie”, a déclaré Sihanouk Dibo du Parti de l’Union démocratique (PYD), principal parti kurde en Syrie. Il s’agit d’unir les trois cantons kurdes et les zones conquises ces derniers mois par les Forces démocratiques syriennes (YPG/J et forces arabes alliées) au sein de la zone d’administration autonome mise en place depuis le début du conflit. Un comité organisationnel de 31 membres a été élu et sera chargé de faire appliquer la décision sur le terrain dans les six prochains mois.

La future Syrie appartiendra à tous les Syriens

“Le système fédéral démocratique inclut toutes les composantes de la société et garantit que la future Syrie appartiendra à tous les Syriens” : cette volonté s’inscrit comme un principe fondateur d’après le communiqué de l’Assemblée constituante. La Syrie, dont le nom officiel est “République arabe syrienne” devrait donc s’appeler “République de Syrie”, ce qui est au point de discorde fondamental avec les rebelles syriens dits “modérés”.

La constitution d’un système fédéral démocratique pour le Rojava/Nord de la Syrie

Le communiqué de l’Assemblée constituante fait état de décisions importantes :
• Le comité organisationnel de 31 membres sera co-présidé (les Co-présidents sont Mansour al-Saloum & Hadiya al-Yousef).
• Le comité organisationnel sera chargé de préparer juridiquement et politiquement un contrat social dans un délai de six mois.
• Tous les comités et documents émanant de l’assemblée seront fondés sur le respect des droits individuels et collectifs selon les principes approuvés par les Nations-Unies concernant la construction d’un système communal démocratique et favorisant la paix et la fraternité entre les peuples et les pays voisins.
• La liberté de la femme est considérée comme le fondement du système fédéral démocratique. Sa représentation d’une façon égalitaire dans tous les domaines de la vie politique et sociale est réaffirmée.
• Toutes les populations et les communautés peuvent vivre au sein du système fédéral au Rojava et peuvent développer des relations politiques, économiques, sociales, culturelles et des partenariats démocratiques sur le plan régional et international sous condition que cette relation ne s’oppose pas aux objectifs et les intérêts du fédéralisme de la Syrie démocratique.
• Toutes les régions qui ont été libérées ont le droit d’être partie prenante du système fédéral démocratique du Rojava.

Un modèle pour la Syrie et tout le Moyen-Orient

Le communiqué ajoute que

l’objectif du système fédéral démocratique au Rojava/Nord de la Syrie sur le plan régional est l’établissement d’une union démocratique entre tous les peuples du Moyen-Orient et dans les domaines politique, économique, culturel et social et le dépassement des frontières nationales des Etats afin de créer pour tous une vie sûre, pacifique et fraternelle. La création du système fédéral et démocratique doit s’effectuer dans le cadre d’une Syrie souveraine.

Une expérience démocratique défendue par le sang des martyrs

Le communiqué de l’Assemblée constituante rappelle la situation particulièrement tragique pour la Syrie avec ses millions de déplacés et ses centaines de milliers de morts ainsi qu’un grand nombre de destructions :

malgré tout cela, une expérience démocratique a été lancée au Rojava et défendue par le sang des martyrs. De grands acquis ont été obtenus pendant cette période. Nous avons une réelle opportunité de construire un système fédéral démocratique. Nous sommes convaincus que cela représente un modèle pour une solution à la crise syrienne.

En conclusion l’Assemblée constituante lance un appel solennel et demande à la jeunesse, aux organisations de femmes, aux associations, aux travailleurs, à tous les acteurs sociaux, à toutes les forces démocratiques, humanistes et progressistes de soutenir ses efforts.

Ça grince !

Le régime de Bachar al-Assad et l’opposition “modérée” ont chacun rejeté l’établissement d’une région fédérale. Les Etats-Unis ont prévenu qu’ils ne reconnaîtraient pas la création d’une région unifiée et autonome kurde en Syrie, qui rencontre l’hostilité de la Turquie voisine. Quant au président russe, qui prêche la modération et veut peser sur les négociations de Genève, il prévient qu’il peut “redéployer ses avions en quelques heures” dans le ciel syrien en cas de violation de la trêve. Affaire à suivre.

André Métayer