Il faut soutenir la liberté d’expression en Turquie

Les affrontements qui se déroulent en ce moment en Turquie contre le gouvernement de l’AKP, le parti au pouvoir, étaient prévisibles. Nous avons dénoncé ici, souvent à contre courant, les dérives autoritaires du gouvernement Erdogan et ses mesures pour museler l’opinion publique et les libertés, individuelles et collectives. L’usage disproportionné de la force par la police turque est symptomatique de la violence exercée à tous les niveaux de l’appareil d’État. Depuis 2009, le pouvoir mène en effet une véritable répression à l’encontre de ses opposants, emprisonnant des milliers d’étudiants, enseignants, universitaires, avocats, journalistes, syndicalistes et élus, principalement kurdes. En signant le communiqué ci-dessous, à l’invitation du collectif Vigilance Arménienne contre le Négationnisme (VAN), l’association Amitiés kurdes de Bretagne appelle à soutenir les démocrates, turcs, kurdes, arméniens, dans leur combat pour la liberté d’expression et la libération de tous les prisonniers politiques.

A.M.

Communiqué de presse

Le collectif Vigilance Arménienne contre le Négationnisme (VAN) ainsi que les personnalités et associations signataires s’élèvent contre la décision de la 14e chambre du Tribunal de police d’Istanbul qui a condamné le 22 mai 2013, l’intellectuel arménien de Turquie, Sevan Nichanian, à 13 mois et demi de prison pour avoir, dans l’un de ses articles, “ouvertement insulté les valeurs religieuses d’une certaine partie de la société”.

Ce libre-penseur, bien connu pour ses prises de position estimées iconoclastes, ne peut bénéficier de sursis pour cause d’une condamnation antérieure : ayant interjeté appel, il devrait néanmoins rester en liberté jusqu’à son nouveau procès pour “blasphème”.

Condamner Sevan Nichanian, c’est une atteinte à la liberté d’expression, mais c’est aussi le désigner officiellement à la vindicte des islamo-nationalistes et intimer le silence aux Arméniens de Turquie, déjà en proie à des discriminations, des menaces récurrentes et des assassinats ciblés, suivis de procès biaisés.

Le cas Ragip et Deniz Zarakolu

Ainsi, les véritables commanditaires de l’assassinat, le 19 janvier 2007 à Istanbul, du journaliste arménien de Turquie, Hrant Dink, n’ont pas été inquiétés jusqu’à présent ; l’exécution par un appelé ultra-nationaliste le 24 avril 2011, date commémorative du génocide arménien, du jeune Sevag Balikci, qui accomplissait son service militaire, a été jugée “accidentelle”. Le meurtre raciste de Maritsa Küçük, une Arménienne âgée, égorgée à Istanbul le 28 décembre 2012, a été fort opportunément imputé à un Arménien qui ne jouit pas de toutes ses facultés mentales.

À l’occasion du verdict qui frappe Nichanian, le “Don Quichotte arménien”, il est bon aussi de se souvenir du sort que l’État turc réserve à ses opposants turcs et kurdes.

Le procès de Ragip et Deniz Zarakolu se tient du 27 mai au 7 juin 2013 à Silivri, à 60 km d’Istanbul.

Si l’emblématique éditeur et défenseur des droits de l’homme, Ragip Zarakolu, incarcéré pour “terrorisme” le 28 octobre 2011, comparaît en prévenu libre après avoir effectué 5 mois et demi de préventive, il n’en est pas de même de son fils Deniz Zarakolu, toujours emprisonné depuis le 4 octobre 2011 pour avoir donné une conférence sur “La Politique” d’Aristote, dans le cadre de l’Académie du BPD, parti légal pro-kurde ayant 36 députés au parlement turc. Doctorant en sciences sociales, Deniz Zarakolu travaille pour la maison d’édition familiale “Belge” (prononcer “Belgué” qui veut dire “documents”). Son incarcération – tout comme celle de son père Ragip – vise à museler “Belge”, renommée pour ses publications sur le génocide arménien et les droits des minorités de Turquie.

D’autres collaborateurs de “Belge”, tels Aziz Tunç, le poète kurde Mulazim Ozcan, la traductrice Ayse Berktay, attendent dans leur cellule l’issue de procès-fleuves regroupant des centaines de prévenus et risquent de lourdes peines de prison à l’instar de l’universitaire Busra Ersanli, en libération conditionnelle. Enfin, n’oublions pas la sociologue féministe Pinar Selek, en exil à Strasbourg du fait de son invraisemblable condamnation à perpétuité au terme de moult procès kafkaïens.

76 journalistes incarcérés en Turquie

On s’interroge sur l’indifférence générale de l’Europe. Avec 76 journalistes incarcérés, la Turquie, candidate à l’adhésion à l’Union européenne, a pourtant été désignée en 2012 “plus grande prison du monde pour les journalistes devant l’Iran, l’Erythrée et la Chine” par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ). Les lois anti-terroristes en vigueur renforcent la tendance du pouvoir turc à “assimiler journalisme critique et terrorisme”.

Une pétition intitulée “Sevan Nichanian n’est pas seul” a été lancée par des intellectuels de Turquie, publiée en solidarité avec lui mais également avec les journalistes Ibrahim Güvenç et Necati Abay qui viennent de se voir infliger respectivement 10 et 11 ans et de 3 mois de prison pour “terrorisme”.

Le Collectif VAN ainsi que les personnalités et associations signataires s’associent à cette démarche : tous les militants des droits de l’homme doivent voir la fin des procédures indues engagées à leur encontre, qu’ils soient en libération conditionnelle à l’instar de Ragip Zarakolu et Busra Ersanli, en exil comme Pinar Selek, en prison tels Deniz Zarakolu, Aziz Tunç, Mulazim Ozcan et Ayse Berktay, en attente d’un second jugement comme Sevan Nichanian, ou sous le coup de poursuites au titre du liberticide article 301, “pour insulte à l’identité turque”, comme Rober Koptas, rédacteur en chef du journal arménien de Turquie Agos, l’écrivain Ümit Kivanç et le journaliste Temel Demirer.

Il est temps que la France, qui semble avoir abdiqué sur le terrain de la défense des droits de l’homme en Turquie, trouve le courage d’affronter ceux qui piétinent l’idée même de démocratie. Elle se doit d’apporter son soutien à ces femmes et ces hommes d’exception : ils représentent le seul avenir possible pour un pays qui n’arrive toujours pas à se défaire de ses tentations totalitaires.

Signataires :

Séta Papazian, Présidente du Collectif VAN [Vigilance Arménienne contre le Négationnisme], Benjamin Abtan, Président du Mouvement Antiraciste Européen EGAM (European Grassroots Antiracist Movement), Catherine Coquio [Professeur de littérature à Paris 7], Aircrige-Paris [Association internationale de recherche sur les crimes contre l’humanité et les génocides], Serge Klarsfeld, Mémorial 98, Meïr Waintrater, Yves Ternon [Historien], Seve Izouli-Aydin [Avocate], Frédéric Encel [Politologue], Etienne Copeaux [Historien de la Turquie], Claire Mauss-Copeaux [Historienne], Erol Ozkoray [Ecrivain-journaliste – Istanbul/Turquie], Dogan Özgüden [Journaliste – Bruxelles/Belgique], Inci Tugsavul [Journaliste – Bruxelles/Belgique], Jacques Bérès [Président de France Syrie Démocratie], Bernard Schalscha [Secrétaire général de France Syrie Démocratie], MPCT [Mouvement Pour la Paix et Contre le Terrorisme], André Métayer [Président d’Amitiés kurdes de Bretagne], LICRA [Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme], Alain David [Bureau exécutif de la LICRA, philosophe], Roger W. Smith [Professor of government emeritus, College of William and Mary, Virginia, USA], Jacky Mamou [Président du CUD – Collectif Urgence Darfour], Alain Gauthier [Président du CPCR – Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda], Appui Rwanda, Serge Avédikian [Acteur et réalisateur], Anne Lainé [Cinéaste], Taner Akçam [Historien, Center for Holocaust and Genocide Studies, Clark University, USA], Marcel Kabanda [Président d’Ibuka-France], Cindy Léoni [Présidente de SOS Racisme], Jonathan Hayoun [Président de l’UEJF – Union des Etudiants Juifs de France], Aline Le Bail-Kremer [Directrice de la Communication de l’EGAM – European Grassroots Antiracist Movement].