Je hais la guerre : qui a mitraillé le minibus de Beytüşebap (province de Şirnak) ?

Le 29 septembre dernier, sur une route de campagne, au lieu dit “Hemka”, sur la commune Beytüşebap (province de Şirnak), un dolmuş (transport en commun) tombe dans une embuscade faisant 12 morts dont un Mukhtar (chef de village) et 7 “protecteurs de village”, force supplétive kurde à la solde de l’armée turque. L’attentat est immédiatement attribué aux “terroristes” du PKK par les plus hautes autorités turques, civiles et militaires, relayées en cela par la presse nationale et internationale ainsi que par le Conseil de l’Europe qui, d’après une dépêche de l’AFP,

condamne sans réserve cette attaque des séparatistes kurdes.

Les Etats-Unis ont également réagi dans ce sens.

Immédiatement parait, dès le 1er octobre, un communiqué des Forces combattantes (HPG) niant toute implication dans cet acte odieux et accusant les forces turques d’en être les auteurs, arguant du fait que les opérations militaires déclenchées par l’Etat-major, en dépit du cessez-le-feu décrété unilatéralement par les Kurdes, ont redoublé d’intensité dans toute la région.

Il s’agit, d’après l’AFP, des plus lourdes pertes subies par l’armée turque depuis 1995. (AFP 08/10/07)

Un autre communiqué (01/10/07), émanant du Conseil exécutif du KCK, fait état de preuves mettant en cause l’armée turque dans cet attentat qu’il dénonce avec force

comme nous dénonçons toutes les attaques violentes menées contre le peuple kurde. Et de conclure : nous exigeons de l’Etat turc qu’il fasse toute la lumière sur cette opération militaire et qu’il retrouve les paramilitaires responsables de cet acte odieux.

L’association turque des droits de l’homme (IHD) (communiqué du 01/10/07) qui condamne cet acte

inhumain et cruel comme elle s’oppose aux exécutions extrajudiciaires par les agents de l’Etat, note que la région déclarée zone de sécurité voici quelques mois est sous la haute surveillance des forces de l’ordre de l’Etat qui contrôlent toutes les entrées et sorties et que les médias et l’opinion publique n’ont pas accès à ce jour aux informations objectives concernant l’attaque.

Une question légitime se pose donc : la presse a-t-elle été instrumentalisée?

Les députés DTP poursuivis par la haine des médias turcs qui les accusent d’être proches du PKK condamnent, eux aussi, l’attentat, reprochant au gouvernement de n’avoir pas cherché à prévenir les affrontements armés, et de n’avoir pas ouvert des négociations politiques :

il incombe au gouvernement d’adopter dans l’urgence une politique permettant de mettre fin à cette situation tendue.

Une commission d’enquête parlementaire devrait être créée. Des syndicats (comme KESK) et des associations (comme HRA, Mazlum Der, Diyarbakır Bar…) souhaitent aussi avoir l’autorisation de se rendre sur place.

L’ancien député DEP Selim Sadak, compagnon d’infortune de Leyla Zana et des autres députés emprisonnés, rapporte que les proches des victimes de Beytüşebap, à qui il a rendu visite, connaissent ceux qui ont massacré les leurs :

il ne s’agit pas du PKK, ont-ils déclaré, et nous connaissons le nom des vrais auteurs.

Selim Sadak note aussi quelques faits troublants comme le survol d’un hélicoptère, l’absence de traces de balles, comme si on avait voulu effacer des indices.

Qui a donc mitraillé le minibus de Beytüşebap ? Des combattants du PKK ont ils eu la gâchette trop facile ? S’agit-il d’une vengeance locale ? D’une provocation des autorités ? s’interroge Ragip Duran dans Libération du 08/10/07.

L’AFP du 30/09/70 avait déjà son hypothèse :

les membres du PKK détestent les “protecteurs de village” qui refusent de s’allier à eux et s’en prennent régulièrement aux familles qui rejoignent cette milice. Ceci n’est plus exact (nous ne sommes plus en 1994). Dès 2004, à l’occasion des élections locales, une étude attentive des scrutins a montré que les candidats DEHAP (parti pro-kurde de l’époque) n’auraient pas été élus sans les voix des protecteurs de village et de leurs familles. En 2007, dans la région de Hakkari, région particulièrement “chaude”, nous avons pu également constater que les protecteurs de village n’étaient plus considérés comme des ennemis (comme les JITEM le sont) mais plutôt comme des victimes enrôlés de force, obligés pour nourrir leur famille

voire, parfois, comme des “complices” ou des informateurs.

Cette erreur d’appréciation de l’AFP permet une autre hypothèse : la Turquie n’aurait-elle pas, elle aussi, son “Capitaine Léger”, ce spécialiste des coups tordus organisés par l’armée française durant les guerres d’Indochine et d’Algérie ? En sacrifiant (ou en punissant?) des protecteurs de village et en faisant porter le chapeau par le PKK, “Yuzbasi Léger” voulait-il faire coup double : susciter l’indignation internationale qui permettra à la Turquie de poursuivre les “terroristes” du PKK jusqu’au Kurdistan d’Irak et rendre plus “performantes” les forces supplétives kurdes dont l’armée a tant besoin pour ses opérations de “l’intérieur” ?

Décidément, je hais la guerre.

André Métayer