KCK kezako ? L’Union des Communautés du Kurdistan

Dans un courrier adressé le 17 février 2012 à un journal turc à grand tirage (Milliyet), Selahattin Demirtaş, député kurde, co-président du BDP, réfute la thèse du gouvernement turc AKP accusant le KCK (“Union des Communautés du Kurdistan”) d’être “la branche politique du mouvement armé PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), de vouloir “remplacer les institutions officielles dans l’est et le sud-est anatoliens” et de vouloir “favoriser une insurrection dans ces régions”. (AFP 13 janvier 2012).

Il explique en 15 points la genèse de cette longue maturation qui aboutit à un mode d’organisation démocratique qui n’a rien à voir avec une organisation clandestine. S’agissant des 6 500 personnes aujourd’hui incarcérées pour « collusion avec le KCK » (mais la liste n’est malheureusement pas close, les arrestations continuant), il explique pourquoi elles sont la cible du gouvernement :

[Ce sont] toujours des personnes qui agissent ouvertement et en toute légalité. Le but de toute cette mise en scène est de pousser le mouvement kurde à accepter la solution partielle que l’AKP prévoit pour la résolution de la question [kurde]. Le gouvernement veut faire en sorte qu’il n’y ait plus la moindre résistance une fois sa solution imposée. […] Son grand projet consiste donc à éradiquer la société civile.

Les Conseils de Citoyens libres au niveau des communes

Le KCK est le résultat d’une recherche d’organisation de la société puisée aux sources d’une lutte quotidienne pour la défense des libertés, en butte à une répression féroce dans l’indifférence des grandes puissances internationales dont certaines, comme la Grande Bretagne et la France, sont directement responsables de la situation ubuesque dans laquelle se trouvent les Kurdes : un peuple de 40 millions de personnes sans Etat. Bien avant son arrestation en 1999, Abdullah Öcalan était à la recherche d’une solution autre que celle d’un Etat-Nation kurde et, durant son incarcération (il est condamné à la prison à vie), il a développé sa thèse pour aboutir à l’idée “d’organisation démocratique de la société” en mettant en avant les notions de confédéralisme et d’autonomie.

Entre 1999 et 2004, le PKK a déclaré unilatéralement un cessez-le-feu illimité mais, devant l’échec de cette main tendue, il a en 2005 repris pour un temps la lutte armée, tout en visant la mise en place d’un système “d’organisation confédérale de la société” par le biais de l’autonomie, rejetant le concept d’un Etat-Nation kurde indépendant.

C’est à cette période, poursuit Selahattin Demirtaş que

partout où la situation le permettait, ont été créés des Conseils de Citoyens Libres au niveau des communes et des quartiers. Le but de ces conseils est de donner naissance à une société capable de s’organiser contre la toute puissance de l’Etat (c’est-à-dire, quasiment toutes les institutions, y compris les mairies). Pour Öcalan, une telle organisation est la seule garantie qui puisse être offerte à la base une fois les armes déposées. […]A vrai dire, cette composition est née à partir du moment où les Kurdes ont renoncé à l’idée de la création d’un Etat-Nation [c’est-à-dire à l’indépendance]. Pour nous, une structure sans Etat est aussi un gage de démocratie. C’est aussi la preuve de la bonne volonté des Kurdes de vivre en commun avec l’Etat actuel [de Turquie]. C’est la partie “démocratique” du concept d’autonomie démocratique qui importe le plus. La partie “autonomie” n’est qu’une question administrative. […] Ce mode d’organisation des Conseils de Citoyens libres est aujourd’hui considéré par l’Etat comme le noyau dur du KCK […].

Le KCK n’est pas une organisation mais un mode d’organisation

Le KCK propose à tous les secteurs de la vie sociale de s’organiser de manière autonome, fédérale à la base et confédérale au sommet, afin de créer une société organisée. Il a aussi pour ambition d’intégrer les différentes organisations des populations de la région y compris des organisations comme le Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK et ses branches armées : le HPG (Force de défense du peuple) et le YJA-STAR (section féminine du HPG). L’Etat turc suivait au début attentivement cette forme d’organisation, dans les années 2005/2009, mais n’est pas intervenu car il ne les trouvait pas subversives. Il est même allé, toujours d’après le député kurde, jusqu’à encourager leur création, car elles correspondaient bien aux idées mises en avant dans le cadre des négociations avec l’Union européenne.

Les assemblées de ville et de quartier

Dans les années 2008-2009, les Conseils de Citoyens libres ont décidé de s’organiser en assemblées de ville et de quartier. Ainsi, des centaines d’assemblées composées de membres du DTP/BDP mais aussi de représentants de la société civile, de journalistes, d’avocats, d’ingénieurs, de maires et de bien d’autres encore ont vu le jour. Leur but était d’être indépendantes de toute organisation politique, bien qu’elles fussent largement soutenues par le DTP, puis le BDP et d’exister de manière autonome comme de réelles assemblées populaires ou, du moins, de lancer les bases de telles assemblées. Chaque quartier était invité à élire ses représentants pour former l’assemblée de la cité et chaque cité fut invitée à envoyer un représentant au “Congrès pour une Société démocratique” (le DTK). On trouve dans ce “Parlement”, aux côtés des représentants des cités, les représentants d’organisations politiques dont le BDP et de différentes communautés, qu’elles soient ethniques ou religieuses (assyro-chaldéens, arabes, arméniens, azéris, yézidis, alévis…). Le gouvernement de l’AKP entamait de son côté de sérieuses négociations avec le PKK qui décidait de prolonger le cessez-le-feu.

Et c’est après le résultat des élections municipales que tout a basculé, pointe le co-président du BDP :

Toutes les assemblées de ville et de quartier ainsi créées ont soutenu le DTP durant les municipales de 2009, en faisant notamment du porte à porte et lui ont permis de remporter une large victoire. C’est donc en 2009 que l’AKP s’est rendu compte pour la première fois de la force d’un tel système. C’est pourquoi, au lendemain des élections, le 14 avril 2009, tous les dirigeants des dites assemblées, parmi lesquels des vice-présidents du DTP en charge de la coordination, ont été interpellés lors de la première vague d’arrestation. Puis, en novembre et décembre de la même année, de nombreuses personnalités, parmi lesquelles des maires et le président de l’époque du DTP, Hatip Dicle, ont été arrêtées. […] Ce modèle dérange le gouvernement parce que cette capacité de la population à s’organiser jusque dans la rue l’effraie. Toutes ces organisations qui, jusqu’à hier, menaient leurs activités sous ses yeux en toute légalité, ont été, du jour au lendemain, déclarées illégales. Et toutes les écoutes téléphoniques réalisées par la police depuis 2007 ont pu être utilisées comme preuves de la participation d’untel ou d’untel à une association de malfaiteurs, ouvrant ainsi la voie à la saisine de procureurs aux pouvoirs spéciaux.

André Métayer

Petit lexique des abréviations employées dans l’article

-AFP : Agence France Presse
-AKP : Parti pour la Justice et le Développement (parti turc « islamo conservateur » au pouvoir)
-BDP : Parti pour la Paix et la Démocratie (parti pro-kurde, membre de l’Internationale socialiste)
-DTP : Parti Pour une Société démocratique (dissout en décembre 2009, remplacé par le BDP)
-KCK : Union des Communautés du Kurdistan
-Kezako : tiré de la locution occitane “qu’es aquo?”, “Qu’est-ce que c’est?”
-DTK : Congrès pour une Société démocratique
-PKK : Parti des Travailleurs du Kurdistan
-HPG : Force de Défense du Peuple (branche armée du PKK)
-YJA-STAR : Unités de Femmes libres (section féminine du HPG)