La coopération Rennes-Diyarbakir, technique, humaine et solidaire

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La ville de Rennes est engagée dans la coopération avec la ville de Diyarbakir, métropole la plus peuplée du Kurdistan turc, depuis plus de trente ans. Ce 14 décembre s’est tenue à Amara, la Maison du Peuple kurde, une soirée centrée sur le compte-rendu de la mission que le Maire Daniel Delaveau y a conduite en novembre.

IMG_7197.jpgLa présence de très nombreux Kurdes a montré combien le souci d’information manifesté par la municipalité correspondait à une attente d’une population qui cherche à vivre sa double citoyenneté. Le sous-développement économique et dans leurs cas, souvent, l’oppression politique, les ont contraints à l’exil. Accueillis à Rennes, ils n’oublient pas d’être solidaires de ceux qui sont restés au pays. La solidarité dont il a été question tout au long de la soirée est une solidarité économique et une solidarité politique.

Répondant aux priorités définies par le Maire de Diyarbakir Osman Baydemir, Rennes apporte son appui dans le domaine du logement et de l’urbanisme. Dans le cadre d’une convention de partenariat avec l’Agence française de Développement, engagée financièrement à hauteur d’un prêt de dix millions d’euros, Rennes met à disposition son expertise.

Philippe Faysse, directeur des services techniques de la Ville, a présenté de manière extrêmement vivante la rénovation urbaine sur laquelle porte la coopération. Quelques photos situent la nature et l’ampleur de l’opération. Ben Û Sen, au pied des remparts, est un de ces ensembles précaires, très pauvres, nés de l’auto-construction sur des terrains squattés, seule solution que les populations chassées de leurs villages par les opérations anti-guérilla de l’armée turque et abandonnées par l’Etat, ont trouvée pour se loger. Diyarbakir est passée en vingt ans de 400 000 à 900 000 habitants. De nombreux travailleurs du bâtiment, journaliers sans contrat, ont trouvé dans une grande usine de briques installée à proximité les matériaux de récupération qui donnent son visage au quartier. Les empilements de maisons et petits immeubles en parpaings rouges mal jointoyés, les toits cimentés des terrasses, constituent la plus mauvaise protection contre le chaud et contre le froid. La moins solide et durable aussi, la plus fragile face aux dangers de séisme. Construire pour ces familles, qui ont la ferme volonté de demeurer là, un habitat décent, un cadre de vie durable bien desservi par les services urbains, tel est le chantier dans lequel l’équipe d’ingénieurs menée par Philippe Faysse se projette avec enthousiasme, non sans cerner les difficultés du défi pour eux-mêmes, comme, à une échelle encore plus vaste, pour la municipalité de Diyarbakir.

Le déplacement à Diyarbakir s’est effectué alors que commençait le procès intenté aux 150 élus du BDP ou responsables associatifs, poursuivis dans le cadre des nombreuses dispositions de la législation et du code pénal turcs qui criminalisent toute expression du mouvement d’émancipation culturel et politique kurde, sous l’accusation d’appartenance au PKK, de participation à une entreprise terroriste. Le Maire de Rennes leur a apporté son soutien public en dénonçant le simulacre de justice dont ils sont victimes, en reconnaissant la légitimité des droits pour lesquels ils militent. On peut retrouver ces déclarations faites par Daniel Delaveau devant le Palais de Justice de Diyarbakir sur le site de la Ville de Rennes.

Frédéric Bourcier, Adjoint à l’urbanisme et à l’aménagement, faisait partie de la délégation. Il a apporté au cours de la soirée un poignant témoignage, disant combien il a été marqué par les fouilles et la surveillance militaires dont ils ont été l’objet, comme tous ceux qui sont venus exprimer leur solidarité à l’audience. Impressionné aussi, comme Philippe Faysse, par la personnalité d’Osman Baydemir, par la qualité de son travail et celui de son équipe, par le courage des personnes poursuivies, par l’affection approbatrice que leur manifeste dans le calme la population de la ville.

En réponse aux questions qui lui ont été posées à propos des investigations et perquisitions menées par le juge anti-terroriste au sein des communautés kurdes de Marseille et de Rennes, Frédéric Bourcier s’interroge sur ces méthodes d’intimidation : ne sont-elles pas toujours en lien avec les rendez-vous à Paris ou à Istanbul entre les Présidents Sarkozy et Gül ? Elles lui font penser, comme à nombre d’autres observateurs, que l’on assiste là à un petit jeu d’exigences et de concessions politiques essentiellement formelles, en marge de tractations commerciales.

En conclusion et pour garantir les fondements et la permanence de la solidarité politique avec le peuple kurde réaffirmée, il a, en tant que premier secrétaire fédéral du Parti Socialiste en Ille et Vilaine, rappelé la fraternité qui lient le BDP et le PS au sein de l’Internationale Socialiste.

Initiatrice de cette rencontre chaleureusement accueillie, comme l’a exprimé Mahmut qui assurait avec Murat la traduction des échanges, Marie-Anne Chapdelaine, déléguée dans la municipalité rennaise à l’égalité des droits et à la laïcité, en réponse à la présentation d’un projet de travail autour de l’aide aux enfants autistes et à leurs familles, a assuré que la Ville répondra favorablement aux demandes allant dans le sens de l’élargissement des coopérations entre les deux villes. Puis elle a apporté deux éclairages précieux sur la solidarité économique et la solidarité politique dont il a été question tout au long de la soirée : les droits que ces solidarités visent à défendre et à promouvoir constituent un ensemble indissociable. Les droits sociaux au travail, au logement, à la santé, les droits culturels, au premier rang desquels celui pour un peuple de parler sa langue, les droits politiques de s’organiser et de se diriger, sont étroitement associés dans les luttes pour la reconnaissance et la mise en application des Droits de l’Homme et pour le développement de la démocratie.

En s’engageant pour la défense des droits des Kurdes, pour la défense des Droits de l’Homme en Turquie, il ne s’agit en rien de dresser des populations les unes contre les autres. Cela vaut pour tous les citoyens turcs. Il ne s’agit pas non plus de donner des leçons : la défense des Droits de l’Homme et de la démocratie doit nous impliquer aussi en France si l’on ne veut pas les voir plus gravement remis en cause, comme cela se passe déjà, par exemple, dans le cadre lui-même de la législation dite anti-terroriste.

Je trouve personnellement cet appel très important. Trop d’exemples l’ont en effet montré dans les derniers mois – de l’affaire des Roms aux poussées xénophobes dont Marine le Pen et le Front National ne sont pas les seuls ferments – le seuil des menaces a déjà été franchi.

De même que – c’est le sentiment qui ressortait de cette rencontre – une nouvelle étape a été franchie qui préfigure un renforcement des liens et des échanges, ici et là-bas, entre les Rennais et les Kurdes.

René Péron