“La couleur pourpre de la politique kurde” est sorti mais Gültan Kışanak, son auteure, reste en prison

Il est sorti de prison. Quoi ? Le livre “Kürt Siyasetinin, Mor Rengi” (La couleur pourpre de la politique kurde). Elle reste toujours détenue. Qui ? Son auteure, Gültan Kışanak, co-maire de la ville métropolitaine de Diyarbakir, incarcérée depuis octobre 2016.

C’est en effet le 25 octobre 2016 que Gültan Kışanak et Firat Anli, co-maires de Diyarbakir, ont été interpellés et mis en garde à vue, leurs domiciles perquisitionnés ainsi que les bureaux de la mairie métropolitaine. Accusée comme 94 autres co-maires kurdes de “terrorisme”, Gültan Kışanak a été arrêtée à sa descente d’avion, alors qu’elle revenait d’une tournée en Amérique du sud, où elle avait été invitée pour parler de coopération inter-cités, tandis que plusieurs dizaines de policiers, des blindés légers des forces de sécurité et des camions équipés de canons à eau étaient déployés autour de la mairie. Ces arrestations ont donné lieu à des manifestations à Diyarbakir, mais pas seulement, des manifestations eurent lieu également à Rennes où Mme Kışanak est très connue. Elle avait été reçue par la maire de Rennes, en novembre 2014. Les Amitiés Kurdes de Bretagne l’avaient rencontrée à Diyarbakir en février 2014 et avaient été aussi reçues par Fırat Anlı le 11 juin 2015.

Les co-maires de la ville emblématique de Diyarbakir, considérée comme la capitale des Kurdes de Turquie, ont été, comme la presque totalité de leurs collègues, destitués et remplacés par un administrateur civil aux ordres du président dictateur.

La lutte des femmes kurdes

Gültan Kışanak, du fond de sa prison, a co-écrit le livre avec d’autres femmes politiques emprisonnées. Le président Erdoğan a voulu les faire taire et a cru que l’enfermement allait en finir avec toutes ces “terroristes”. Il a cru qu’en brisant les corps il allait les anéantir. Erreur fatale, les paroles s’échappent à travers les barreaux et révèlent que la résistance s’organise.

Gültan Kışanak, qui a travaillé comme journaliste pendant de nombreuses années avant sa percée politique, a préparé le livre à partir des interviews réalisées avec les lettres des femmes politiques kurdes détenues dans diverses prisons turques. Gültan Kışanak relate, dans les conditions carcérales imposées à toutes les femmes, les réponses aux questions, le parcours politique et la lutte des femmes kurdes, en commençant par un rappel historique de la lutte des femmes depuis le Parti du travail populaire (HEP) créé en 1990 et qui se perpétue aujourd’hui avec le HDP.

“La couleur pourpre de la politique kurde ” montre comment la lutte politique des femmes kurdes a repoussé le système patriarcal dont elle révèle ses failles, complexes et souvent cachées. C’est une ode à la détermination des femmes face au système patriarcal.

Les contributrices embastillées

  • Zeynep Han Bingöl, co-maire de Karayazı (province d’Erzurum) contre qui sont requis 7 ans ½ de prison. Elle est détenue à la prison d’Erzurum.
  • Yıldız Çetin, maire-adjointe de Gürpınar (province de Van), détenue à la prison de Van depuis le 2 mai 2017.
  • Çağlar Demirel, députée de Diyarbakir, porte-parole du groupe parlementaire, incarcérée en décembre 2016 (23 ans de prison requis), a milité, avant d’être députée, au planning familial et à diverses organisations non gouvernementales (lutte contre la violence faite aux femmes, politique de la santé de la famille, le travail des femmes, les droits des femmes…).
  • Fatma Doğan, co-maire de Bozova (province d’Urfa ) détenue depuis 6 janvier 2017.
  • Leyla Güven, élue co-maire de Viranşehir (province de Şanlıurfa) en mars 2009 et membre du Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, a déjà purgé une peine de 4 années de prison et a été de nouveau condamnée à 6 années et 3 mois de prison le 17 mars 2017.
  • Dilek Hatipoglu, co-maire de Hakkari, détenue à la prison de Sincan (Ankara), purge une peine de 15 ans de prison pour avoir “tenté de violer l’ordre constitutionnel”.
  • Selma Irmak, députée de Hakkari, condamnée pour “propagande terroriste”, démise de ses fonctions, fait partie de ces femmes qui, très jeunes, ont commencé à militer dans les organisations étudiantes et au Centre culturel de Mésopotamie (MKM). Elle a connu la prison dès 1994 durant 3 ans et 9 mois et a été de nouveau incarcérée en mars 2009. En juin 2011, elle est élue députée de Sirnak et exerce ses fonctions du fond de sa prison. Elle lance en février 2012 la grande grève de la faim. Libérée le 4 janvier 2014, elle est réélue députée les 7 juin et 1er novembre 2015. Elle est à nouveau interpellée le 4 novembre 2016 (avec 12 de ses collègues députés) et est actuellement détenue à la prison de Midyat (province de Mardin). Il a y actuellement 22 procès intentés contre elle.
  • Servin Karakoç, co-maire d’Ovakışla (province de Bitlis) détenue à la prison de Sincan (Ankara) depuis le 31 octobre 2016.
  • Diba Keskin, co-maire d’Ercis (province de Van), connue pour avoir été très durement frappée par le séisme de 2011, a été condamnée à 13 ans et 9 mois d’emprisonnement au motif bien connu d’appartenance à une organisation terroriste et incarcérée à la prison de Sincan (Ankara).
  • Evin Keve, co-maire de Çatak (province de Van), détenue depuis 16 février 2017, signataire d’un message collectif du 22 août 2018 qui dit notamment : “dans les circonstances où le fascisme a transformé tout le pays en prison, peu importe lequel d’entre nous est derrière ces murs. Nous croyons que ces murs seront démolis et que la liberté, la paix et la fraternité prévaudront”.
  • Mukaddes Kubilay, co-maire de Doğubeyazıt (province d’Ağrı), détenue depuis le 28 décembre 2016 pour “avoir aidé et encouragé l’organisation terroriste”. Mukaddes Kubilay avait occupé précédemment la co-présidence du HDP à Izmir.
  • Burcu Celik Özkan, députée de Muş, condamnée à plus de sept ans de prison pour « propagande terroriste. »
  • Edibe Şahin, kurde alévie, élue co-maire de Tunceli (Dêrsim) en 2009, a travaillé pendant de nombreuses années dans des organisations de femmes et de défense des droits de l’homme, et participé à la création de l’Institut kurde d’Istanbul. En 2010, elle avait attiré l’attention des médias dans la campagne contre le barrage de Munzur qui eu des échos jusqu’à Rennes.
  • Zeynep Sipçik, co-maire de Dargeçit (province de Mardin) emprisonnée depuis le 30 mars 2016 à la prison de Sincan (Ankara), a été parrainée le 14 septembre 2017 par Laurent Russier, maire de Saint-Denis : “forte de sa tradition de soutien aux peuples opprimés et ville de paix, Saint-Denis est solidaire des progressistes de Turquie dans leur projet d’avènement d’une société démocratique”.
  • Aysel Tugluk, vice-coprésidente du HDP, députée en 2007 de Diyarbakir, a déjà été emprisonnée à plusieurs reprises. Elle a un temps assuré, comme avocate, la défense d’Öcalan.
  • Sebahat Tuncel, kurde, alévie, féministe, socialiste, est connue pour son militantisme au sein de la commission des femmes du parti pro-kurde qui, sans cesse interdit, a pris successivement les noms de HADEP, DEHAP, DTP puis BDP. Elle est connue également pour avoir dénoncé les violences sexuelles sur mineurs dans la prison d’Adana. Poursuivie pour appartenance au PKK, elle a été placée en détention au cours de l’année 2006. Après avoir fait campagne pour les élections législatives à partir de sa prison, elle est élue députée en juillet 2007 – la benjamine du parlement – et libérée grâce à son immunité parlementaire. Elle est venue à Rennes le 19 juin 2009. Réélue députée d’Istanbul en juin 2011, elle a été condamnée en janvier 2018 à 2 ans et 3 mois d’emprisonnement.
  • Gülser Yıldırım, députée de Mardin, a été interpellée et mise en détention le 4 novembre 2016 avec Idris Baluken, Selahattin Demirtaş, Figen Yüksekdağ, Selma Irmak, Nursel Aydoğan et Leyla Birlik. Le 15 novembre 2017, l’affaire a été mise en délibéré et la députée maintenue en détention à la prison de Mardin.
  • Figen Yüksekdağ, députée de Van, ex-co-présidente du HDP, a milité dans les mouvements des droits des femmes avant de devenir éditrice de la revue Femme socialiste. Co-fondatrice du Parti socialiste de l’Opprimé (ESP) en 2010, elle rejoint en 2014 le HDP, avec lequel l’ESP fusionne. Figen Yüksekdağ est détenue depuis novembre 2016 dans la prison de type F de Kandira à Kocaeli, sur les bords de la Mer Noire, où se trouvent également incarcérées Sebahat Tuncel, Gültan Kışanak, Gülser Yıldırım et bien d’autres. Il y actuellement 21 procès intentés contre elle.

André Métayer

“Kürt Siyasetinin, Mor Rengi” est édité en turc aux éditions Dipnot, support de diffusion des notes et réflexions des chercheurs de l’IFEA (Institut français d’études anatoliennes). L’IFEA est un centre de recherche français dépendant du ministère des Affaires étrangères et européennes et du CNRS. Il fait partie du réseau des Instituts français de recherche à l’étranger.