La diplomatie au pied du mur : la question kurde ne se résoudra pas sans la reconnaissance des droits du peuple kurde

En appelant “minorité kurde” le peuple kurde, vivant dans une Turquie très éloignée de la Turquie monolithique prônée par l’Etat turc, la sémantique employée par Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires Etrangères, dans un courrier daté du 15 juillet dernier aux Amitiés kurdes de Bretagne (AKB), fausse la réalité de la situation, justifie la stratégie de la diplomatie française et conduit la politique de la France dans une impasse. Il nie de fait un état de guerre qui oppose, comme l’a déclaré le Tribunal permanent des Peuples (TPP), forces armées de l’Etat turc et forces armées du PKK sur le territoire turc, notamment dans les régions kurdes. Il s’agit, pour le TPP, “d’un conflit armé non international soumis aux règles de droit international humanitaire“, en conséquence la France devrait, comme le dit la Cour de Cassation de Belgique, admettre que le PKK ne peut être considéré comme une organisation terroriste et qu’il doit être retiré de la liste des organisations terroristes.

Sur ce point, le ministre exprime son désaccord, arguant du fait que le retrait du PKK de la liste des organisations terroristes ne saurait légitimer les exactions de ce dernier. Mais de quelles exactions précises parle-t-il ? C’est la question que je lui pose, en tant que président-fondateur des AKB, dans une lettre datée du 10/08/21, en lui précisant que la guerre et ses horreurs ne sont pas pour moi des inconnues : j’ai connu, enfant, l’occupation allemande et, jeune adulte, ai été appelé sous les drapeaux pour faire la guerre en Algérie. Je peux donc témoigner des exactions du FLN, mais aussi de celles des Harkis. Et que dire des opérations de “pacification” de l’armée française ? Des coups tordus du capitaine Léger ? De l’affaire Audin ? Pour autant, j’ai salué les accords d’Evian. Et que dire de toutes les turpitudes de l’Etat turc que j’observe, impuissant, depuis 26 ans, dont sont victimes les populations kurdes ? Pour autant, les AKB militent pour des accords de paix entre les belligérants.

En citant, dans ma réponse au Ministre, l’assassinat à Paris de trois militantes kurdes, je note que, même quand ces crimes se passent sur le sol français, le gouvernement français reste étonnement muet. Sans ignorer la complexité de la diplomatie, où se mêlent représentation nationale, considérations stratégiques, organisation des moyens de défense, coopération des services de renseignement, et… intérêts économiques, je pose la question de la place des droits de l’Homme et en tire une conséquence :

si la diplomatie européenne, si la diplomatie française est en échec au point de ne pouvoir faire libérer Selahattin Demirtaş, détenu depuis 2016, malgré la décision de la Cour européenne des Droits de l’Homme qui ordonne sa libération, alors vous ne pouvez pas traiter de terroristes ceux et celles qui prennent les armes pour défendre leurs droits.

La France reste convaincue qu’une solution politique à la question kurde est la seule qui soit viable à long terme,” écrit avec raison le ministre, mais peut-on imaginer qu’on puisse réunir autour d’une table de négociation toutes les parties prenantes sans inviter le PKK ? C’est comme imaginer les accords d’Evian sans le FLN ou les négociations à Johannesburg sans Mandela.

La France suit l’évolution de la situation avec la plus grande attention,” poursuit-il. Non, M. le ministre, cette phrase répétée par les gouvernements successifs depuis des décennies n’est plus crédible. La politique de l’autruche ne paie plus : voyez le désastre afghan, dévastateur pour la démocratie et les droits humains, faute d’anticipation. La diplomatie est au pied du mur : la question kurde est au cœur de situations conflictuelles au Moyen-Orient, qui ne se résoudront pas sans la reconnaissance des droits du peuple kurde.

André Métayer