« La fascinante démocratie du Rojava » par Pierre Bance

Extraits de l’interview de Pierre Bance par les “Chroniques Noir et Rouge”

On parle beaucoup du Rojava, mais qu’en sait-on vraiment au-delà des clichés guerriers ? Pierre Bance apporte sa réponse en publiant aux Éditions Noir et Rouge “La fascinante démocratie du Rojava – Le contrat social de la Fédération de la Syrie du Nord”. Il se penche plus spécialement sur les aspects idéologiques, juridiques et institutionnels.

La géopolitique du Rojava

Le Rojava est une région peuplée majoritairement de Kurdes, grande comme la Belgique et située au nord de la Syrie. Les territoires à dominante arabe libérés de l’emprise de l’État is­lamique ont une surface équivalente. Leur association avec le Rojava dans la Fédération démocratique de la Syrie du Nord et de l’Est couvre un territoire comparable au Benelux, ce qui représente un tiers de la surface totale de la Syrie. La population du Rojava est d’environ 3,5 millions d’habitants. Celle de la Fédération de quelque 5 millions d’habitants, peut-être plus, car les chiffres sont sujet à caution faute de recensement. La Fédération est bordée au nord par la Turquie, belliqueuse, qui a envahi trois fois le Rojava en 2016, 2018, 2019. Au nord encore et à l’ouest, par des territoires occupés par les Turcs et leurs mercenaires qui ne cessent de harceler les populations kurdes, assyriennes ou arabes vivant en bordure. À l’ouest et au sud, par le régime de Bachar al-Assad qui rêve de reconquérir tous les territoires de la Fédération. À l’est, par la région autonome du Kurdistan d’Irak, peu coopérative, et l’Irak, aux prises avec ses nombreux problèmes notamment l’activisme de l’État islamique. Qui ne comprend que, dans ces conditions, mettre en place une démocratie, sans même parler de confédéralisme démocratique, n’est pas une tâche facile ?

Est-on vraiment en présence d’une démocratie ?

Pierre Bance L’exécutif de la Fédération de la Syrie du Nord tire sa légitimité d’un consensus entre les diffé­rents segments de la société, et non d’une élection législative ou d’une procédure de désignation par des assemblées générales. Si ce « gouvernement » n’est pas démocratique au sens de la science politique, s’il ne l’est pas davantage au regard des procé­dures de désignation du Contrat social, il n’est pas pour autant une dictature. Le meilleur exemple est certainement le respect des droits humains et des libertés fon­damentales par les autorités lo­cales et fédérales qui n’a rien à envier aux démocraties occiden­tales, avec les mêmes accidents ponctuels. On pourrait aussi parler de la justice fondée sur le consensus, la conciliation plutôt que la répression, et de cette particularité, une justice auto­nome des femmes. De l’éduca­tion en recherche de pédagogies anti-autoritaires, de l’autogestion des universités et des enseigne­ments dans les langues mater­nelles (arabe, kurde ou syriaque). Et de bien d’autres sujets, comme ce droit civil ou ce droit pénal dé­construisant le droit coutumier.

Si la Syrie du Nord n’est pas une démocratie à l’image des dé­mocraties occidentales, ce qu’elle ne souhaite d’ailleurs pas être, il ne faut jamais oublier que la si­tuation militaire l’empêche de mettre en place les institutions parlementaires démocratiques dans toute leur lourdeur et de faire fonctionner la démocratie directe dans toute sa lenteur. D’ailleurs lesdites démocraties, en pareille situation, décréteraient l’état de siège ou l’état d’urgence pour suspendre certaines libertés constitutionnelles ou modifier le fonctionnement normal des pou­voirs publics.

André Métayer