La France choisira seule “les objectifs à frapper” en Syrie

S’exprimant le 15 septembre devant l’Assemblée nationale en préalable d’un débat sans vote, le Premier ministre Manuel Valls a détaillé devant les députés la nouvelle stratégie de la France en Syrie, pour contrer l’avance du prétendu “Etat islamique” (EI). Cette stratégie prévoit, après les vols de reconnaissance de ces derniers jours et qui doivent encore durer plusieurs semaines, des frappes aériennes contre des cibles que “nous choisirons seuls”. Elle exclut toute intervention au sol. Elle prévoit une coordination avec les USA, mais sans intégration opérationnelle.

Une décision que nous réclamions il y a un an

Il y a pratiquement un an jour pour jour, alors que l’attaque de l’EI contre le canton de Kobanê prenait un tournant dramatique, nous réclamions

à la communauté internationale d’adopter immédiatement des sanctions contre les Etats qui soutiennent l’EI, en particulier la Turquie, de prendre des mesures urgentes pour protéger la population de Kobanê et de soutenir les forces kurdes qui sont le principal rempart contre l’EI en Syrie et en Irak.

Ni la France, ni les autres pays de la Coalition internationale “Inherent Resolve” opérant en Irak, n’ont répondu à cet appel. Seuls certains de ce pays, quelques semaines plus tard, Etats-Unis en tête, ont pris la décision de venir en appui aérien aux forces kurdes des YPG/J défendant avec acharnement le réduit de Kobanê, alors prêt à tomber.

En un an, si ces mêmes forces kurdes ont donné des coups sévères à l’EI et libéré une partie importante des territoires syrien et irakien, l’organisation criminelle a énormément progressé militairement partout ailleurs : outre l’Irak et la Syrie, elle a désormais des bases solides en Lybie et au Yémen, menace l’Egypte, étend son influence sur des bandes djihadistes en Afrique, en Asie centrale ou dans le Caucase. Un an de perdu donc, et combien de morts de civils et combattants alliés kurdes, arabes, assyriens, qui auraient pu être évitées ?

“Choisir seul les objectifs”

Il est surprenant qu’il faille attendre encore quelques semaines avant de lancer les premières frappes, à l’issue de vols de reconnaissance plus poussés. L’EI est mobile, il n’attendra pas tranquillement, après deux ou trois survols de reconnaissance, que le quatrième soit, des heures ou des jours après, celui de la frappe ciblée. L’aviation américaine peut témoigner des tactiques d’adaptation mise en place par ces terroristes et de l’absolue nécessité de disposer d’alliés au sol, au plus près des positions ennemies, pour guider efficacement les frappes.

Il est tout aussi surprenant que soient cités les Peshmergas du KRG – et c’est bienvenu – mais qu’il ne soit dit mot de la coalition militaire dirigée par les Kurdes en Syrie, alors qu’il s’agit de la seule force sur laquelle la Coalition internationale puisse pourtant compter : force multi-ethnique, démocratique, laïque, anti-Bachar el-Assad – ce qui semble être une condition absolue – mais surtout la seule et unique force ayant repoussé l’EI, sur le terrain et en dépit d’un armement insuffisant.

Soutenir les Kurdes pour accélérer la libération de la Syrie

Si la France faisait clairement le choix de soutenir l’autonomie démocratique du Rojava et les troupes kurdes, elle gagnerait un temps précieux tout en ayant une efficacité militaire indiscutable contre l’EI.

Plutôt que de longs et onéreux vols de reconnaissance préalables, une réponse automatique aux demandes de frappes émanant des YPG/J en opération, en 30-35 minutes en partant du Golfe persique, constituerait un soutien réel : ce sont ces forces terrestres, engagées depuis deux ans, qui connaissent le mieux les cibles prioritaires et les méthodes de l’ennemi. Il y aurait notamment urgence à anéantir les dispositifs mis en place par l’EI à Jarabulus, Manbij, au nord de Raqqa, au sud de Hassakeh, enfin dans la poche persistante au sud de Tel Brak et Tel Hamis. Les forces kurdes ont besoin de plus de frappes pour pouvoir progresser dans la libération d’axes et territoires stratégiques comme al-Hawl ou Jarabulus.

La France pourrait aussi aider d’une autre manière les Kurdes en livrant les matériels de première nécessité nécessaires à leurs forces : matériels de protection individuels (masques à gaz), matériels de vision nocturne, armements anti-blindés, munitions… mais également médicaments, appareils médicaux, fournitures civiles de toutes sortes dont le gouvernement du Rojava a besoin, économiquement étouffé par le blocus étanche imposé par la Turquie.

Une position claire sur le problème Erdoğan

Sur ce dernier point enfin, la France gagnerait, diplomatiquement, à élever la voix : la mégalomanie du président turc RT Erdoğan est devenue plus que dangereuse, tant pour les peuples de Turquie que pour le reste du Moyen-Orient, les Kurdes étant évidemment les premiers à éliminer sur sa très longue liste d’ennemis. Refusant de se plier au verdict des urnes, ce président minoritaire, qui se rêve sultan, n’a pas hésiter à déclencher une guerre interne ouverte, la justifiant d’une manière sidérante : “si un parti [le sien, l’AKP] avait obtenu 400 députés le 7 juin, rien de tout cela ne serait arrivé”.

La très diplomatique et unique phrase du Premier ministre à propos de la Turquie, “elle doit toutefois préciser davantage ses objectifs”,[[Transparente quand l’on mesure la disproportion entre les moyens considérables employés par l’armée turque contre les Kurdes et l’inaction complice de cette même armée vis-à-vis de l’EI.]] paraît bien timide. Aurait-on peur de déplaire aux officines actives dans la défense d’Erdoğan ?

Soyons clairs : Erdoğan n’est ni un démocrate, ni un allié sincère. Il est un islamiste autoritaire, réactionnaire, qui vise à l’établissement d’une dictature policière, religieuse et raciste. C’est le fondement du néo-ottomanisme qu’il développe activement.

Erdoğan n’est la solution à aucun problème, il est le problème de la Turquie. La mesure doit en être prise, y compris et avant tout par la France, qui se doit de jouer un rôle actif au Moyen-Orient, tant pour sa propre sécurité que celle des peuples avec lesquels elle a des liens séculaires. Les États qui refusent aujourd’hui de le faire en seront comptables si Erdoğan parvient à ses fins.

AKB