“La gestion démocratique des foules” ? Qu’en termes galants ces choses là sont dites…

b885ede8a85b8f541501a10dcfd8c338589992d7“Gestion démocratique des foules” est une jolie expression qu’on trouve dans le projet de loi “autorisant l’approbation de l’accord de coopération dans le domaine de la sécurité intérieure entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Turquie.”

Pour autant, ni dans l’accord signé le 7 octobre 2011, ni dans le projet de loi, ni dans l’étude d’impact, on trouve quelles précisions que se soient sur son contenu, si ce n’est que cette “gestion démocratique des foules” constitue l’un des 18 domaines de coopération figurant dans ces accords de coopération de sécurité intérieure, et ce, à la demande du gouvernement de la Turquie.

Il y a, pour le moins, abus de langage : il s’agit sans doute de la maîtrise d’événements en rapport avec des mouvements de foule. Comme on le voit, il n’y a rien de “démocratique” dans cette gestion vue essentiellement sous l’angle technique et opérationnel comme il est dit dans l’article premier de l’accord de coopération : « les parties mènent une coopération technique et opérationnelle en matière de sécurité intérieure et s’accordent mutuelle assistance dans les domaines suivants » avec en premier lieu la lutte contre le terrorisme et le financement des activités afférentes.

Ordre républicain et libertés républicaines

Il est bien sûr du devoir des forces de sécurité d’assurer l’ordre républicain et de protéger les biens et les personnes. Nul ne le conteste. Personne ne conteste non plus la nécessité pour les forces de police ou de gendarmerie de bénéficier d’une formation pour exercer un métier dont on ne peut ignorer les difficultés. Mais l’ordre républicain doit se faire dans le respect des libertés publiques qui garantissent, notamment, en l’espèce, le droit de grève, le droit de manifester, le droit de militer pour une alternance politique à la tête de l’Etat ou pour la reconnaissance de droits nouveaux, culturels, linguistiques, sociétaux, politiques. L’usage de la force dans les opérations de maintien de l’ordre ne doit pas être disproportionné aux risques de désordre, dit-on, mais les démocraties n’offrent-elles pas des moyens non-violents de règlement des conflits politiques, en commençant, bien en amont, par respecter les forces politiques d’opposition, les organisations syndicales, les associations et autres formes de la société civile ? Il n’a échappé à personne que les grandes manifestations, encadrées par des services d’ordre responsables, se passent le plus souvent sans incidents majeurs. Ce n’est pas le cas en Turquie et on peut craindre que les préoccupations soient tout autres, crainte que confirme d’ailleurs l’étude d’impact annexée au projet de loi : « la signature de ce texte a donc pour principal objectif d’officialiser des échanges déjà réguliers entre les différents services de police. L’échange portera sur des méthodes de travail, des stratégies de lutte contre la criminalité, des analyses des phénomènes criminels, des échanges de bonnes pratiques ».

On peut donc s’étonner qu’un pays démocratique comme la France accepte un tel accord avec un pays qui réprime durement le droit de manifester et qui se signale par des arrestations massives, suivies d’incarcérations de longues durées de manifestants, quels que soient leur âge, leur sexe ou leur condition sociale.

Gouvernement turc dans l’impasse

On peut s’en étonner d’autant plus qu’un pays démocratique comme la France pourrait proposer d’autres formes de coopération dont la Turquie à grand besoin pour régler la question kurde, « un des dossiers récurrents qui plombe la vie politique de la Turquie contemporaine » d’après Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS (‘Institut de Relations Internationales et Stratégiques), spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient :

l’actualité de ces derniers mois a montré un rétrécissement du champ des libertés individuelles et collectives en Turquie principalement justifié par la nécessaire lutte contre le terrorisme, qui est toutefois dénaturée par l’interprétation abusive des dispositions de la loi anti-terroriste de 2006. En effet, la multiplication des emprisonnements qui en découle ne fait que confirmer et renforcer l’impasse dans laquelle se trouve le gouvernement turc face au défi kurde. Ainsi cette question est plus que jamais la plaque sensible du processus de démocratisation en Turquie.

Même la presse turque pose la question de la nécessité de changer de ton et de faire preuve de discernement dans l’utilisation du qualificatif “terroriste” :

en Turquie, il serait utile de modérer les appellations accolées au PKK afin de ne pas se réfugier dans une posture qui empêche l’ouverture d’un dialogue politique

dit notamment Kadri Gürsel, éditorialiste du quotidien turc de centre gauche Milliyet, qui reconnaît que le KCK (Union des Communautés du Kurdistan), les maquisards du PKK et Abdullah Öcalan sont des interlocuteurs incontournables pour arriver à une solution politique de la question kurde.

Une ouverture de négociations qui change la donne

La donne est changée avec l’ouverture de négociations entre le gouvernement turc, le BDP, parti légal pro kurde et animateur du KCK et Abdullah Öcalan, condamné à la prison à vie, leader incontesté qui a su bien avant les autres joindre au combat pour la libération du peuple kurde la lutte émancipatrice des femmes. Le gouvernement français serait bien inspiré de renoncer à faire voter une loi qui flatte les tendances répressives et sectaires d’un gouvernement au comportement schizophrénique qui, d’une part emprisonne à tout va et réclame même à la France l’extradition de Kurdes prétendus “terroristes” et d’autre part ouvre des négociations avec ceux-là mêmes qu’il considère encore comme de dangereux terroristes. Le ministre français des Affaires étrangères devrait encourager le dialogue en conseillant la voie de la réconciliation, qui passe par des gestes forts comme celui de retirer le PKK de la liste des organisations terroristes. La preuve a été faite moult fois que le Parti des Travailleurs du Kurdistan, le PKK, qui certes conserve pour l’instant une branche armée, n’a rien à voir, quant aux buts et aux méthodes, avec des groupes djihadistes ou des bandes armées salafistes et qu’il n’a pas sa place dans une liste constituée à partir de critères politiques partisans et conjoncturels.

Il serait temps que la France arrête sa politique répressive

Il serait temps que la France arrête sa politique répressive en poursuivant de sa vindicte des militants kurdes au motif qu’ils appartiendraient à une organisation terroriste. Le 12 février dernier, dix-sept militants kurdes étaient interpellés à Bordeaux et à Toulouse, onze étaient mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, financement du terrorisme et tentatives d’extorsion. Sept d’entre eux sont toujours incarcérés. Du 11 au 27 mars s’est tenu à Paris un procès en appel de 17 responsables kurdes pour des faits remontant aux années 2000-2007 et jugés en novembre 2011. Au cours des audiences, les avocats avaient démontré à quel point ces arrestations se faisaient, malgré des dossiers vides, en complicité avec la Turquie. Le verdict avait été considéré comme un verdict d’apaisement tant il apparaissait difficile, même pour un tribunal indépendant du pouvoir politique, d’aller jusqu’au bout d’une logique d’acquittement sans déclencher, tant que le PKK sera considéré comme une organisation terroriste, l’appel du parquet soumis hiérarchiquement au ministère de la Justice. Nous nous posions donc la question de savoir si le parquet irait au devant des souhaits du gouvernement français, qui venait de signer l’accord de coopération dans le domaine de la sécurité intérieure. Nous avons aujourd’hui la réponse : le parquet a fait appel et le verdict tombera le 23 avril prochain.

André Métayer