La lettre du HDP aux parlementaires européens révèle le jeu insensé d’un chef d’Etat ivre de pouvoir

Le Parti démocratique des Peuples (HDP), dans une lettre datée du 31 décembre 2015, s’adresse aux parlementaires des différents pays européens pour présenter la situation actuelle dans la région kurde de Turquie, marquée par une escalade de violences sans précédent et étalant au grand jour la faute majeure de R.T. Erdoğan, aveuglé par ses ambitions personnelles. Cette lettre du HDP, l’un des quatre partis politiques représentés à la « Grande Assemblée de Turquie, » membre du Parti socialiste européen et membre de l’International socialiste, interpelle, en France en particulier, les députés de la majorité gouvernementale et le gouvernement et les met en face de leurs responsabilités. Il est temps que nos dirigeants prennent leurs distances avec ce président dictateur qui a pris le pouvoir de la façon la plus exécrable, en détournant au moyen de tricheries et de violences en tous genre l’exercice le plus démocratique qu’il soit : le vote des citoyens. Il est temps qu’ils lui disent, comme Cicéron, “quousque tandem abutere patientia nostra?” (« jusqu’à quand abuseras-tu de notre patience ?”).

Les Accords de Dolmabahçe, l’occasion historique de conclure un processus de paix

Le HDP rappelle l’historique d’un processus de paix engagé depuis le 21 mars 2013 avec le chef du PKK, Abdullah Öcalan, entre deux comités représentant respectivement l’État turc et le peuple kurde et aboutissant le 28 février 2015 aux Accords de Dolmabahçe. “La Turquie est plus proche que jamais d’un accord de paix » avait déclaré Sirri Sureyya Önder, député HDP, à l’issue de la conférence de presse tenue avec le vice-premier ministre Yalçin Akdogan et le ministre de l’intérieur Efkan Ala, avant qu’Abdullah Öcalan ne lance son appel historique : “il est temps de passer du combat armé à la lutte politique”. Outre l’abandon des armes, il avançait dix revendications, dans le cadre de la “Patrie commune”, bien loin de revendications séparatistes, comme voudrait le faire croire la propagande opposée aux accords de paix. Il était également prévu la mise en place d’un comité de suivi et le KCK (l’Union des communautés du Kurdistan) qui regroupe les partis kurdes, y compris le PKK, était prêt à convoquer ses membres en Congrès extraordinaire.

La faute majeure d’Erdoğan

Mais le président Erdoğan était déjà dans un processus électoral visant à fait élire une majorité de députés qui lui offriraient les pleins pouvoirs dans un système présidentiel de type dictatorial. Il a donc bloqué la suite des négociations prévues dès mars et engagé un bras de fer pour gagner les élections de juin. Il n’a plus voulu entendre parler des Accords de Dolmabahçe. Pour autant, malgré les attaques ciblées contre les militants, les sympathisants et les locaux du HDP, il n’a pu empêcher ce parti pro-kurde d’obtenir des résultats historiques, qui l’ont privé des pleins pouvoirs. Le Parlement a donc été dissout et les électeurs appelés à retourner aux urnes le 1er novembre. Ivre de rage, celui qui se voyait déjà sultan a déclenché une répression sans précédent, qui perdure aujourd’hui.

Oui, Erdoğan a déclaré la guerre au peuple kurde et est responsable des violences qui se traduisent par des morts et des blessés par centaines, des incarcérations par milliers. Abdullah Öcalan est à nouveau mis au secret dans sa prison d’Imrali. Cette situation dramatique pour les Kurdes n’est pas sans risque pour l’Europe.

Ce tableau émergeant de la Turquie comporte des risques sociaux et politiques de radicalisme et de violence qui sont susceptibles de gravement influencer le Moyen-Orient et l’Europe. Malheureusement, nous sommes aujourd’hui plus que jamais face à un scénario de catastrophe. Si des mesures ne sont pas rapidement prises, cette situation aura inévitablement des conséquences lourdes non seulement en Turquie, mais aussi au Moyen-Orient et en Europe”

écrit le HDP, qui lance un appel à “toutes les plateformes démocratiques nationales et internationales”, demande la cessation des opérations militaires et le retour à la table des négociations.

Cet appel doit être entendu.

André Métayer

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Dernier dramatique exemple de la guerre menée par Erdoğan, à Silopi trois militantes kurdes pacifiques et un jeune homme ont été abattus par les forces turques le 5 janvier. Sêvê Demir était membre du Conseil du DBP, Pakiye Nayır était co-présidente de l’Assemblée locale du Peuple et Fatma Uyar membre du KJA. Les autopsies ont révélé que Sêvê Demir avait été abattue de 11 balles de différents calibres, soupçonnant même des munitions explosives, Pakiye Nayır de 5 balles et Fatma Uyar d’un nombre encore inconnu de balles, compte tenu de l’ampleur des dégâts. Le jeune homme qui a été tué à leurs côtés n’a pu être identifié, sous l’effet des 8 balles qui l’ont touché.

Ces trois femmes ainsi qu’un homme ont été grièvement blessés dans la ville sous couvre-feu de Silopi mais n’ont pas pu être évacués pour être hospitalisés, faute d’un feu vert des autorités

a dénoncé Leyla Birlik, députée HDP de Sirnak, qui a été elle-même victime d’une tentative d’assassinat en décembre dernier, près de Diyarbakir.

La dépêche de l’AFP du 6 janvier qui reprend ses propos confirme par ailleurs qu’Erdoğan ne décolère pas et continue à poursuivre de sa vindicte les deux co-présidents du HDP, Selahattin Demirtaş et Figen Yuksekdag, dont il demande la levée de l’immunité parlementaire. Une procédure judiciaire a été lancée. Le prétexte : Selahattin Demirtaş aurait déclaré le 27 décembre dernier que les Kurdes de Turquie devaient choisir entre “vivre en autonomie” ou “sous la tyrannie d’un homme” C’est ce qu’Erdoğan appelle un “crime constitutionnel”.

Le même Erdoğan qui a déclaré le 31 décembre, pour défendre son projet de réforme de la Constitution,

dans un système unitaire [comme la Turquie] un système présidentiel peut parfaitement exister. Il y a actuellement des exemples dans le monde et aussi des exemples dans l’histoire. Ainsi l’Allemagne d’Hitler.