La martingale turque a des effets pervers

La Turquie et ceux qui la soutiennent dans sa conduite répressive à l’égard de tout ce qui touche la question kurde ne semblent pas avoir imaginé que la situation pourrait devenir plus compliquée que prévue et que les interpellations, les arrestations, les incarcérations de militants kurdes au motif qu’ils seraient des « terroristes doublés de trafiquants de drogue » commencent à interpeller l’opinion publique sur la véracité de l’accusation.

C’est ce qu’on pourrait appeler l’effet pervers, c’est-à-dire “le résultat non désiré et fâcheux d’une action qui se retourne contre les intentions de ceux qui l’ont engagée”. On notera en passant que dans le cas présent les résultats non désirés et imprévus ne sont pas forcément fâcheux.

Ainsi, l’arrestation par les autorités françaises d’un militant connu comme Ali Dogan[[MOBILISATION à MILLAU]] soulève l’indignation et la révolte des Kurdes et, plus grave encore pour le Pouvoir, l’incompréhension de toutes les personnalités qui le côtoient en Languedoc et ailleurs : Ali un terroriste? Tous ses amis et, maintenant les amis des amis des amis savent que le “terroriste” Ali ne correspond pas au portrait véhiculé par tous les médias : Ali Dogan, militant chevronné, la cinquantaine alerte, est français depuis 2004, après avoir été réfugié politique en France durant de longues années et réside à Montpellier. Ethnologue, chargé de cours à l’Université de Nîmes, il est l’un des fondateurs et animateurs du Centre de Recherche et d’Action pour les Droits de l’Homme en Méditerranée (CRADHOM), l’une des associations qui milite au sein du Collectif associatif méditerranéen des Droits de l’Homme en Turquie[[Avec des associations comme ACAT – AIME LE MOT DIT – Aix Solidarité – Amnesty International – Asso. de soutien à la prod. indépendante de documentaire (SPID) – CIMADE – LDH 13 – Maison du Peuple kurde – MRAP 13 – Médecins du Monde – Solidarité & Liberté…]]. Interprète, il est en relations avec les autorités administratives et les tribunaux.

Les Kurdes sur le Larzac, c’est dix ans de présence, c’est l’organisation du congrès européen de la diaspora, c’est la transparence témoigne un éducateur millavois qui admet bien volontiers les réunions politiques : Mais jusqu’à preuve du contraire, elles ne sont pas encore interdites en France que je sache !

Bref, l’incarcération à Fleury Mérogis d’Ali fait désordre et sa libération[[A. Dogan est sorti de prison ce jeudi, 18 mars, où il était détenu depuis le 2 mars après une garde à vue de 92 heures ; il est assigné à résidence dans le Larzac, au Mas Razal, à Pierrefiche, et placé sous contrôle judiciaire.]] n’effacera pas le sentiment qu’il s’agit bien d’une manipulation de l’opinion.

Et Remzi Kartal ? Un terroriste? Pourquoi les autorités belges ont-elles arrêté cet ancien député kurde, à qui elles ont accordé le statut de réfugié politique, alors que les autorités allemandes et espagnoles l’ont blanchi de l’accusation de terrorisme lancée par l’Etat policier de Turquie? L’Allemagne et l’Espagne ont successivement refusé l’extradition réclamée par la Turquie et rendu la liberté à Remzi Kartal.

Et Kadir Dilsiz? Un terroriste? Tous ses amis de Bretagne et notamment de Redon, qui l’ont côtoyé durant plusieurs années, le Maire de Redon, le Maire-adjoint, le Député de Redon, les militants politiques et associatifs de Bretagne, entre autres ceux des mouvements bretons, ont envoyé d’énergiques protestations contre cette accusation absurde : les autorités turques ont néanmoins condamné “notre kurde breton” à purger dans la terrible prison de type F d’Izmir une peine de 11 années de détention pour avoir collaboré, comme technicien, à ROJ TV, la télévision kurde en exil[[dont les studios ont été, il y a peu, saccagés par des forces policières belges et turques (officiellement “de nationalité belge mais d’origine turque”).]].

Et Gulcihan Simsek ?[Cadre territoriale puis maire de Bostanici (2004-2009), c’est avant tout une militante, syndicaliste et associative (dans les associations luttant contre la violence faite aux femmes et dans les associations luttant contre la pauvreté). Gulcihan Simsek est détenue sans jugement depuis avril 2009.]] Une terroriste? Elle nous écrit de sa prison de Diyarbakir, dans une lettre datée du 10 mars 2010 :

Concernant notre affaire (c.à.d. sa mise en détention provisoire), celle-ci étant toujours sous le coup du secret, le réquisitoire n’a pas encore été rendu public. Je ne sais toujours pas de quoi je suis accusée. Les pressions injustes qui pèsent sur les élus, les maires et les hommes et femmes politiques kurdes sont insupportables. L’interdiction de notre parti, le DTP, les arrestations d’enfants de 10 à 17 ans pour avoir soit disant lancé des pierres et leur condamnation à des dizaines d’années de prison et l’arrestation de plus de 1 000 de nos cadres sont autant d’éléments qui démontrent cette dérive insensée.[[[RAPPORT SUR LES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME DANS LES RÉGIONS EST ET SUD-EST DE LA TURQUIE – ANNEE 2009]]

Toute la politique nationaliste de la Turquie est basée sur la nécessité de diaboliser, à l’intérieur des frontières, toute opposition qui revendique des droits et de la discréditer aux yeux de l’opinion internationale. La martingale qui a, jusqu’à lors, marché au grand casino du bluff a été de faire inscrire le PKK sur d’hypothétiques listes d’organisations terroristes et de considérer comme terroristes tous ceux et toutes celles qui refusent d’entrer dans cette logique. C’est au nom d’une certaine solidarité entre pays de l’OTAN qu’on assiste à certains dérapages comme ceux, récents, en Italie, en France et en Belgique et on peut se demander : à qui le tour maintenant ?

André Métayer