La politique étrangère d’Erdoğan est dans un cul-de-sac

Kobanê est un véritable électrochoc pour l’opinion internationale et met en lumière la duplicité du président Erdoğan, dont la politique étrangère est un véritable fiasco. La résistance inattendue des Kurdes a pris à contrepied ceux qui misaient sur son effondrement rapide et se prépareraient déjà à se partager les dépouilles.

La réticence d’Ankara à aider les Kurdes contre l’État islamique dans l’espoir de les voir réduit à la soumission a complètement échoué. Ankara a donc raté une grande opportunité. Au lieu d’aider les Kurdes de Kobanê et de devenir ainsi un acteur indispensable de la formation du Kurdistan syrien (Rojava), Erdoğan et le Premier ministre Ahmet Davutoğlu ont réussi à s’aliéner tout le monde, et ils se retrouvent bien seuls désormais :

c’est Suat Kiniklioglu, ancien membre du conseil exécutif de l’AKP, directeur du Stratim (Centre pour la communication stratégique) à Ankara qui écrit cette sévère critique le 22 octobre dernier dans Today Zaman, journal réputé proche de la confrérie de Fethullah Gülen, imam ultra-libéral sur le plan économique, réfugié aux Etats-Unis et ancien allié d’Erdoğan.

Kobanê peut tomber sous le joug des islamistes, Kobanê peut tomber sous le joug du régime d’un Bachar Al Assad remis en selle ou d’une coalition hétéroclite, Kobanê restera dans l’histoire “le Stalingrad du Moyen-Orient”, comme l’a écrit la coprésidence de l’Union des communautés du Kurdistan (KCK) ou – et c’est la hantise de l’émissaire spécial des Nations Unies pour la Syrie – le “Srebrenica” kurde.

La politique liberticide de la Turquie ne date pas d’hier

Nous étions jusqu’alors peu nombreux à dénoncer la politique liberticide de la Turquie et à expliquer que la lutte armée était inévitable pour un peuple, le peuple kurde, qui ne veut pas disparaître en tant que peuple.

Aujourd’hui toute la presse – même Paris Match ! – salue la résistance et le courage des combattants et des combattantes de Kobanê. Tout le milieu politico-médiatique se dit choqué par la lenteur avec laquelle sont acheminés les secours. Certains culpabilisent, comme Bernard Kouchner :

à Kobanê, nous avons baissé les bras devant les exactions barbares de Daesh, ou Franz-Olivier Giesbert : les mots manquent pour qualifier notre silence, notre cynisme et notre lâcheté. Nombreux sont ceux qui fustigent la Turquie, qui entend poursuivre son projet insensé d’envahir le Kurdistan syrien et qui rêve d’y établir un protectorat. Et chacun pointe à sa manière l’inanité d’une politique dictée par la seule obsession kurde. Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris, dénonce cette politique en faisant remarquer qu’elle ne date pas d’aujourd’hui : le nettoyage ethnique de Kobanê émeut d’autant moins la Turquie qu’elle-même a, dans les années 1990, évacué et détruit 3 400 villages kurdes et provoqué le déplacement forcé de plus de 2 millions de civils. En toute impunité, bien sûr, appartenance à l’OTAN oblige. Le fait que le canton de Kobanê soit géré par le Parti de l’union démocratique (PYD), proche du PKK, lui sert d’alibi pour justifier sa politique qui, au-delà des proclamations de « neutralité », vise à favoriser la chute de Kobanê aux mains des djihadistes. Ces derniers bénéficient depuis trois ans d’une aide multiforme des services turcs.

Peu à peu, la question du PKK est posée : la martingale turque “PKK= terroriste” n’est plus vendable.

La martingale turque “PKK= terroriste” n’est plus vendable

Le retournement est assez spectaculaire. Kobanê a, semble-t-il, ouvert les yeux à nombreux observateurs comme ceux de Bernard-Henri Lévy qui, après avoir approuvé naguère l’inscription du PKK sur la liste des organisations terroristes, fait en quelque sorte amende honorable :

ce nouveau PKK est l’organisation qui, à travers, en particulier, les forces combattant, en Syrie, sous la bannière des Unités de protection populaire (YPG), mène la bataille, en première ligne, avec un courage exemplaire et une efficacité non moins exceptionnelle, contre le califat noir de Daesh.

Le très médiatisé philosophe n’hésite pas à déclarer que le PKK et les partis qui lui sont liés doivent être reconnus pour ce qu’ils sont : “un opérateur de stabilité et, demain, de paix au Proche-Orient. Et donc d’être retiré de la liste des organisations terroristes”. Et de s’appuyer sur la façon dont sont organisées les régions kurdes de Syrie :

une égalité hommes-femmes, un souci de laïcité et de respect des minorités, une conception moderne, modérée et œcuménique de l’islam dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne sont pas la règle dans le reste de la région.

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a aussi réévalué le statut et la nomination du PKK. Les termes “terroriste” et “terrorisme” sont remplacés par “activiste” et “conflit” et Abdullah Öcalan est officiellement désigné comme “le leader du PKK”.

André Métayer