La révolution démocratique du Rojava embarrasse l’Europe et ses alliés du Moyen-orient

François Legeait et Gaël Le Ny, des Amitiés kurdes de Bretagne, font partie des rares observateurs, journalistes, photographes qui se trouvent aujourd’hui au Kurdistan syrien, alors que les djihadistes de l’EIIL font le siègent des cantons de Djézire et surtout de Kobane, dans l’indifférence générale.

Nous avons publié à cet égard les appels du Congrès National du Kurdistan (KNK) et de la Coordination nationale Solidarité Kurdistan.

On s’interroge légitimement sur le silence de la presse. Nous attendons les déclarations enflammées de notre ministre des Affaires étrangères, si prompt à délivrer une fatwa contre le dictateur Bachar El Assad, mais bien muet quand il s’agit de dénoncer les agissements des hordes islamistes qui veulent imposer la charia. François et Gaël sillonnent depuis une dizaine de jours la région de Djézire, de Serekanyê (Ras al-Ain), ville qui porte les stigmates de mois de durs combats contre les djihadistes, à Derik pour visiter un camp de réfugiés, en passant par Amude, où siègent les conseils exécutif et législatif du canton et, bien sûr, Qamishli où ils ont rencontré le maire de la ville et diverses ministères, mais aussi le parti démocratique assyrien, une académie de droit, un centre de loisirs, une chaine de télévision, un centre culturel. Ils sont bien sûr en contact avec les forces combattantes et on peut leur faire confiance pour être à l’écoute de la population civile qui souffre. Elle a montré par le passé sa détermination : elle n’a jamais plié devant la dictature de l’ancien régime, elle ne pliera pas devant la terreur djihadiste.

André Métayer

La seule démocratie au Moyen-orient n’est pas celle que l’on croit. Celle-là ne reçoit aucun soutien de la part des démocraties occidentales

Les Kurdes de Syrie mènent de front une révolution démocratique et une guerre contre le terrorisme. L’autonomie démocratique a été décrétée officiellement le 21 janvier 2014. Elle repose sur les principes de la démocratie participative et se substitue à l’ancien régime de Bachar El Assad partout où les Kurdes contrôlent leur territoire, c’est-à-dire la plus grande partie du Rojava (Kurdistan Occidental). Cependant la principale menace pour cette toute jeune démocratie n’est pas la dictature baasiste, mais les attaques répétées des groupes djihadistes, aggravées par l’hostilité de ses voisins et la passivité de la communauté internationale.

Ici la défense de la terre est indissociablement liée à la lutte pour la démocratie

Depuis la prise de Mossoul, l’EIIL a considérablement renforcé son arsenal et soumet le Rojava, et en particulier le canton de Kobane, à un siège sans merci. Chaque jour voit tomber son lot de martyrs, mais les YPG (unités de défense populaire) et YPJ (unités de défense féminines) repoussent offensive après offensive, et les terroristes qui ont conquis la moitié de l’Irak en quelques jours se cassent les dents depuis des mois sur la détermination de ces combattants de circonstance. Ils sont étudiant, camionneur, mère au foyer, fleuriste…

Ici la défense de la terre est indissociablement liée à la lutte pour la démocratie et les Kurdes ne plieront pas plus devant la terreur djihadiste que devant la dictature de l’ancien régime. Pourtant il ne s’agit pas d’une lutte nationaliste : si la majorité de la population est kurde, elle partage la terre – et le pouvoir – avec d’importantes minorités, arabe, syriaque ou arménienne. Toutes sont représentées dans les institutions de l’Autonomie démocratique, qui affirme ne pas chercher à créer un état kurde, mais à bâtir un Moyen-orient démocratique.

C’est peut-être cela qui effraie tant ses voisins : la Turquie, qui a complètement fermé sa frontière avec le Rojava et la région autonome du Kurdistan d’Irak, qui ne laisse ouvert qu’un seul point de passage, réservé aux diplomates et aux ONG. Au poste frontière le plus important, celui de Tel Kocher, plus rien ne passe. Contrôlé jusqu’à l’offensive de l’EIIL par le régime syrien et les forces irakiennes, il est hermétiquement fermé depuis que les Peshmergas (forces armées du Kurdistan d’Irak) en ont pris le contrôle. Raison officielle de ces restrictions : empêcher le passage des djihadistes (!), alors que c’est par la Turquie, avec la complicité des autorités gouvernementales, que transitent la plupart des islamistes venus en Syrie grossir les rangs de l’EIIL.

Aziz, 45 ans, monte la garde devant la Direction des Relations diplomatiques du canton de Qamishli, assis sur une chaise de jardin, une vieille Kalachnikov posée sur les genoux et un verre de thé à portée de la main. Malgré l’arme et la cartouchière, il ne ressemble pas à un soldat, mais à un père de famille et à un ouvrier du bâtiment, volontaire pour défendre les siens. La dernière distribution d’une ONG a tourné à la tragi-comédie : un quartier a reçu de la nourriture, un autre des produits d’hygiène. “Tant pis, soupire Aziz, eux, ils mangeront, et nous, nous nous brosserons les dents !”

Le miracle quotidien du Rojava

La solidarité est partout, mais cet embargo quasi-complet depuis un mois et demi pèse lourd sur le Rojava. Si les besoins alimentaires sont globalement satisfaits, tous les produits d’importation subissent une inflation importante et diverses pénuries apparaissent, notamment sur certains produits de santé. L’industrie souffre de difficultés d’approvisionnement, l’entretien de l’outil de production – agricole, pétrolier – des réseaux d’eau et d’électricité, etc. devient problématique. Les réseaux de téléphone mobile et d’internet ne fonctionnent plus et les coupures d’eau et de courant sont quotidiennes. Difficile dans ces conditions de construire une nouvelle vie sur le territoire kurde et, simultanément, de défendre ses « frontières ».

Et pourtant c’est le miracle quotidien du Rojava depuis trois ans… mais pour combien de temps encore ?

François Legeait et Gaël Le Ny