Le BDP et le HDP en ordre de bataille pour gagner les élections locales en Turquie

L’enjeu est d’importance pour le parti pro kurde BDP (parti pour la Paix et la Démocratie) qui avait remporté près de cent villes le 29 mars 2009 sous l’étiquette DTP (Parti pour une Société Démocratique) : la ville métropolitaine de Diyarbakir et ses 4 arrondissements, 7 villes préfectures, 90 communes dont 51 grandes agglomérations. La victoire fut tellement éclatante que le pouvoir lança, dès le mois suivant, une vague d’arrestations sans précédent et la Cour constitutionnelle prononça en décembre de la même année la dissolution du parti. Aujourd’hui ce sont 7 000 élus et cadres, politiques et associatifs, qui sont toujours détenus, sans jugement dans les prisons turques. Les prochaines élections locales et régionales (les régions ressemblant à nos départements) auront lieu le dimanche 30 mars prochain et le BDP, qui remplace le DTP, relève le défi de garder les acquis de 2009 et de gagner les bastions qui lui ont échappé. Le travail de fond effectué depuis 5 ans permet d’être optimiste. Les Conseils de citoyens des années 2008/2009 se sont étoffés et ont créé le KCK (Union des Communautés du Kurdistan) qui organise tous les secteurs de la vie sociale de manière autonome, fédérale et confédérale, intégrant différentes organisations y compris des organisations comme le PKK. Est aussi actif le DTK (Congrès pour une Société démocratique), appelé aussi “Assemblée du Kurdistan”, plate-forme de 850 délégués qui réunit les représentants de la société civile et les élus politiques du parti pro kurde, députés, maires, conseillers municipaux et régionaux. Le DTK est présidé par deux figures emblématiques de la lutte kurde : Ahmet Türk et Aysel Tugluk, deux ex- députés démis de leur mandat par la Cour constitutionnelle.

Les campagnes de désobéissance civile, les “chapiteaux de la paix et du dialogue”, les grèves de la faim dans les prisons, l’appel d’Öcalan et le début des négociations de paix ont montré la combativité de tout un peuple se retrouvant derrière le BDP qui a pris deux nouvelles initiatives : la création d’un nouveau parti politique et la mise en place de la parité dans la présidence de toutes les instances.

Le HDP (Parti de la Démocratie du Peuple) à l’assaut des villes de l’Ouest

Un nouveau parti politique est né en Turquie, le HDP (Parti de la Démocratie du Peuple) avec comme objectif de rapprocher les forces pro-kurdes et celles de la gauche turque, en vue de gagner les prochaines élections dans des villes de la Turquie de l’Ouest et notamment à Istanbul où vivent 3 millions de Kurdes. Öcalan lui-même a donné son aval. 4 députés BDP ont démissionné pour créer le HDP : Ertuğru Kürkçü, député de Mersin et Sebahat Tuncel, députée d’Istanbul, qui on été élus co-présidents, et deux autres députés d’Istanbul : Abdullah Levent Tüzel et Sirri Süreyya Önder.

Sirri Süreyya Önder, candidat à la mairie d’Istanbul

Sirri Süreyya Önder, député de la 2e circonscription d’Istanbul, un quartier populaire cosmopolite à majorité kurde, est candidat à la mairie d’Istanbul. Ce cinéaste, acteur, écrivain d’origine turkmène, est un personnage très populaire et atypique. Il a connu très tôt la prison alors qu’il était encore étudiant et y a découvert la fraternité turco-kurde. C’est l’une des figures de proue du HDP qui se veut représenter le “mouvement Gezi” auquel il a participé activement (on l’a vu sur les barricades tenter d’arrêter les bulldozers du pouvoir). Il inquiète le parti kémaliste CHP (Parti républicain du peuple) qui espère lui aussi ravir la mairie d’Istanbul aux mains de l’AKP, gagnée en 1994 par un certain Recep Tayyip Erdoğan aujourd’hui premier ministre.

La parité homme femme

Dans la « révolution féminine en marche au Kurdistan », on peut lire que le BDP préconise l’égalité des genres dans tous les domaines, y compris les domaines politique, économique et exige un quota de femmes dans toutes activités politiques et culturelles. C’est le seul parti à présenter un grand nombre de femmes au poste de maire dans le cadre de ces élections en Turquie. Parmi les candidats présentés par le BDP, 44,5% sont des femmes contre 4,16% au CHP, 1,23% à l’AKP et 1,12% au MHP. Les instances sont coprésidées par un duo homme/femme. Ainsi, le BDP est présidé par S. Demirtas et G. Kisanak, le DTK par A. Türk et A. Tugluk, le KCK par C.Bayik et B. Hozat, Kongra Gel par R. Kartal et H. Zagros. En outre le BDP annonce que toutes les mairies BDP seront, après le 30 mars, co-présidées par une femme et un homme. Il compte contourner les difficultés au regard du code des collectivités locales en élargissant les responsabilités du maire-adjoint, élu par le conseil municipal, qui sera choisi de façon à respecter la parité homme/femme.

Au Kurdistan syrien (Rojava), les femmes aussi accèdent aux postes stratégiques. Ainsi une constitution y a été adoptée le 6 janvier dernier définissant la Syrie comme un “Etat démocratique, libre et indépendant” et divisant le Kurdistan syrien en trois cantons. L’un de ces cantons, Djazira (région autour de Qamishli), a déjà mis en place son gouvernement dans lequel siègent trois femmes aux postes stratégiques des ministères des Finances, de l’Economie et des Affaires de la Femme et de la Famille.

André Métayer