Le DTP sous pression, avec 500 élus et cadres écroués, soutient néanmoins l’initiative du PKK en faveur de la paix

Le DTP (Parti pour une Société démocratique) le parti pro kurde qui milite pour la reconnaissance des droits et de l’identité du peuple kurde, a remporté, le 29 mars dernier à l’occasion des élections locales et régionales, un succès sans précédent dans les régions kurdes de la Turquie ; il est devenu un interlocuteur incontournable du Premier Ministre, Recep Tayyip Erdogan, chef du parti islamo conservateur au pouvoir, l’AKP, qui lui reproche d’être la “vitrine légale” du PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan, avec qui il refuse de négocier ; le Parlement (“la grande Assemblée” de Turquie) vient de décider, sous la pression des militaires, de renouveler l’autorisation de bombarder les bases arrières du PKK, au Kurdistan irakien, malgré les protestations de l’Irak : “le chef du gouvernement irakien a demandé de respecter la souveraineté de l’Irak, assurant que personne n’avait le droit de la violer”, a déclaré à l’AFP le porte-parole du gouvernement irakien Ali al-Dabbagh.
Afin de sortir de l’impasse, des “groupes de paix” vont, à la demande de leur chef, Abdullah Öcalan, embastillé depuis 11 ans, “descendre de la montagne” (entendez que des délégations de combattants du PKK vont franchir la frontière et se présenter aux autorités turques). Le DTP soutient cette initiative et demande à la population d’accueillir ces messagers.

Dès le 14 avril, moins de deux semaines après les élections , une vaste opération d’arrestations visant, à tous les niveaux, plusieurs centaines de cadres du DTP, se déroule simultanément dans 14 départements : Diyarbakır, İstanbul, Ankara, Aydın, Adana, Elazığ, Antep, Urfa, Şırnak, Hakkari, Bingöl, Van, Batman, Mardin ; 700 personnes sont interpellées, 300 incarcérées ; les bureaux de la télévision locale Gün Tv de Diyarbakir sont perquisitionnés ainsi que ceux du GABB, (l’Union des Municipalités du Sud-Est Anatolien dont le président est Osman Baydemir, maire de Diyarbakir) ; deux avocats d’Öcalan sont aussi mis en garde à vue à Istanbul.

Malgré tous les gestes que la presse n’a pas manqué de relever pouvant laisser penser que la paix était proche, les interpellations ont continué, notamment en septembre et octobre, et on compte aujourd’hui plus de 500 personnes écrouées : à la liste déjà longue des détenus dans les prisons turques, sont venus s’ajouter les noms de l’ancien président et le président actuel du Conseil régional de Diyarbakir, le secrétaire général adjoint de la mairie métropolitaine de Diyarbakir, les Maires adjoints de mairies d’arrondissement de Diyarbakir (Yenisehir, Baglar et Kayapinar), les anciens maires de Baglar, Varto et Sirnak (qui est aussi un des dirigeants de la “Coordination pour une société démocratique”), l’ancien président départemental du DTP.

Parmi les détenus depuis avril 2009, la plupart membres du DTP, on peut citer (mais la liste n’est pas exhaustive) les trois vice présidents, Kamuran Yüksek, Selma Irmak, Bayram Altun, deux membres du comité exécutif, Pelgüzar Kaygisiz et Mazlum Tekdal, la porte parole des femmes, Besime Konca, également membre du comité exécutif, les maires adjoints de Tunceli et de Kiziltepe, l’ancienne mairesse de Bostanici, -notre amie Gülcihan Simsek-, le directeur du service d’architecture de la mairie de Batman, le directeur de la télévision locale Gün Tv de Diyarbakir, le secrétaire Général du GABB, le conseiller d’Osman Baydemir, le directeur du centre culturel de Mésopotamie (MKM) de Diyarbakir, les avocats du cabinet juridique “du Siècle”, deux membres de la direction régionale de Adiyaman, un membre de la direction régionale de Kocaeli, un membre de la direction départementale de Gölbasi, des membres de la direction du parti BDP (Parti de la paix et de la démocratie), des membres du syndicat enseignant Egitim-Sen et du syndicat Haber-Sen (syndicat des personnels de l’information et de la communication affilié à KESK) ; à noter également une quinzaine de membres de la Commission nationale d’Organisation, une dizaine de membres de la Commission nationale “Autorités Locales”, 11 femmes de la Commission nationale des Femmes et plus d’une centaine de membres des Assemblées régionales de la Jeunesse de Mardin, Adiyaman, Kocaeli, Izmir, Batman, Bitlis, Adana, Agri, Ardahan, Aydin. Enfin, on apprend, le 4 Octobre dernier, que 4 députés DTP, Selahattin Demirtaş (président du groupe parlementaire DTP), Emine Ayna (présidente du DTP), Sebahat Tuncel (députée d’Istanbul) et Aysel Tuğluk (députée de Diyarbakır), sont poursuivis pour des propos tenus avant leur élection.

Le président turc Abdullah Gül a bien déclaré que “le principe de diversité doit être à la base de ce pays” et que “les pays qui s’en remettent à un modèle uniforme nuisent en fait à leur unité et à leur intégrité“, mais, en réponse, le général en chef Ilker Basbug a fait une sévère mise en garde : “la Turquie est un Etat, un pays et une nation indivisibles dont la langue est le turc” et “l’armée ne tolèrera aucune atteinte aux fondements de l’Etat-nation et de l’Etat unitaire“.

Le Ministère de la Justice, par ailleurs, admet avoir instruit, en 2006 et 2007, 4784 affaires impliquant 11720 personnes dont 737 enfants, dans le cadre de la loi de la lutte contre le terrorisme, 2469 affaires – 422 enfants impliqués -, dans le cadre de l’Article 220 du Code pénal turc, pour “appartenance à une organisation illégale et faits de propagande pour cette organisation illégale”, et 2239 affaires impliquant 6582 personnes dont 413 enfants dans le cadre de l’Article 314, pour “appartenance à une organisation armée”. 500 enfants et adolescents (chiffre en cours de vérification) seraient encore détenus dans les prisons turques.

Aujourd’hui, la rue, de Diyarbakir ou de Hakkari, ne croit plus au plan gouvernemental qui exclut a priori un arrêt des opérations contre le PKK, une amnistie générale pour les rebelles ainsi qu’un amendement constitutionnel en faveur d’une reconnaissance officielle de l’identité kurde : c’est donc l’impasse et les réactions sont de plus en plus vives ; des slogans pro PKK ont, d’après l’agence Reuters, été scandés au congrès du DTP, et les émigrés kurdes, au retour de leur vacances “au pays”, rapportent que chaque enterrement d’un “résistant” tué au combat provoque de gigantesques rassemblements, avec effigie d’Öcalan et drapeaux du PKK, que l’armée et la police ne peuvent plus contenir ; le Mouvement des Femmes kurdes en Europe, quant à lui, fustige l’attitude des Etats-Unis et de l’Union européenne.

Une dépêche de l’A.F.P, datée du dimanche 18 octobre, nous confirme “qu’un groupe de huit rebelles kurdes doit se rendre lundi aux autorités turques à la frontière turco-irakienne, en signe de paix et de leur engagement envers un règlement du conflit kurde en Turquie”. D’autres groupes suivront dans les jours prochains ; le DTP a demandé au gouvernement d’Ankara de “saisir cette occasion historique” et a appelé les habitants des villes frontalières à accueillir les délégations qui arriveront pour se présenter aux autorités.

André Métayer