Le Kurdistan de Syrie subit les attaques des djihadistes de l’EIIL et le blocus turc

Dans le bureau de la Coordination Rojava du BDP de Diyarbakir, le téléphone ne cesse de sonner. Un convoi doit partir demain pour Kobane. Mazhar Zümrüt, membre de la Coordination, peste contre les autorités turques :

elles font les pires difficultés pour empêcher l’aide humanitaire de passer la frontière. Vers Kobane, ça passe encore, mais vers Efrin, presque rien n’a pu être acheminé depuis un an, et le canton le plus à l’ouest du Kurdistan de Syrie manque de tout : produits alimentaires de base, médicaments, produits d’hygiène… C’est un véritable blocus qu’ont établi les autorités turques !

Au nord de la Syrie livrée au chaos depuis trois ans, le Rojava – ou Kurdistan Occidental – se trouve dans une situation délicate et paradoxale. Le parti kurde majoritaire PYD et les milices populaires YPG contrôlent la zone, longtemps relativement épargnée par les combats, au point que de nombreux Syriens, arabes ou d’origine turkmène ou arménienne, y ont trouvé refuge. Mais depuis un an les choses ont changé. A l’été 2013, les djihadistes d’al-Nusra et de l’EIIL ont lancé une importante offensive et le Rojava fait depuis lors l’objet d’attaques incessantes. Ses frontières sud sont entièrement contrôlées par les djihadistes, qui tiennent aussi deux corridors de 60 kilomètres de large qui remontent au nord jusqu’à la frontière turque, divisant la zone en trois et rendant toute circulation impossible de l’une à l’autre.

L’EIIL ne dispose pas d’armes lourdes mais de nombreux véhicules ; ils peuvent en mobiliser jusqu’à 150 sur une seule opération. Quant à l’aviation syrienne, elle survole la région sans cesse mais sans jamais n’intervenir. Les milices kurdes ne peuvent compter que sur elles-mêmes. Le canton de Djezire (Qamishlo ) bénéficie cependant d’une situation un peu plus enviable du fait de sa frontière commune avec la région autonome du Kurdistan d’Irak. Une rencontre a eu lieu à Ankara il y a deux semaines entre responsables du Rojava et du Kurdistan d’Irak. Mazhar Zümrüt a assisté à la réunion :

des résolutions ont été prises concernant la coopération et la solidarité entre les deux régions. Nous espérons qu’elles seront suivies d’effet, et qu’un dialogue régulier permettra de pérenniser cette union.

La perspective d’un futur Etat qui s’étendrait sur les deux régions actuelles ? Non, assure Mazhar :

ce que nous voulons, c’est un Kurdistan démocratique dans un Moyen-Orient démocratique. Un Moyen-Orient sans frontières, où les droits de toutes les populations soient reconnus.

Pour autant on en est encore très loin d’un Moyen-Orient sans frontières. Au fond de la pièce un jeune homme suit la conversation avec attention. Il porte un bras en écharpe et des cicatrices récentes recouvrent une partie de son visage :

il a été blessé dans un attentat. Cela a été extrêmement difficile de le faire venir pour le soigner. Beaucoup de blessés meurent au Rojava faute de pouvoir être évacués vers le territoire turc. Diyar a eu cette chance. Il est arrivé seul, sa mère n’a pas été autorisée à l’accompagner. Il vit désormais chez sa tante. Celle-ci raconte : je suis originaire de Qamishlo, mais mon mari est de Nusaybin, c’est pourquoi je vis en Turquie. En réalité ces deux villes n’en font qu’une mais la frontière la coupe en deux : au nord on est turc, au sud syrien. En fait, nous sommes kurdes, et séparés par cette ligne tracée par d’autres. Et depuis quelques mois, la Turquie a construit un mur qui court tout le long de la frontière syrienne. Aujourd’hui nous ne voyons même plus nos voisins depuis nos fenêtres. Mais nous entendons toujours le bruit des affrontements et des attentats.

Diyarbakir, le 3 juillet 2014

François Legeait et Gaël Le Ny