Le “modèle” turc n’est plus une référence

Il est déjà loin le temps où l’année 2009 était célébrée comme une année d’anthologie pour la politique étrangère turque. Cette nouvelle politique basée sur “zéro problème avec le voisinage” a fait long feu : aujourd’hui la Turquie est en difficulté avec tous ses voisins.

L’échec de la politique étrangère turque, amorcé avec le printemps arabe, ne cesse de s’aggraver. Il n’y a plus trace aujourd’hui de cette Turquie qui développait de nouveaux objectifs avec l’Union européenne, Israël et l’Iran d’un côté, et qui, de l’autre, concevait des projets à long terme avec la Syrie, la Russie et les États-Unis. Comme dans le cas de sa politique intérieure, le gouvernement présente des signes d’épuisement

écrit, le 27 juillet 2012, le chroniqueur Cumali Önal dans le quotidien Zaman, un journal aux mains de la confrérie musulmane Fethullah Gülen, à la fois proche de la politique islamique de l’AKP et en même temps rivale du chef du gouvernement, RT Erdogan, pour la conquête du pouvoir.

Il est déjà loin – du moins, on veut le croire – le temps où la presse occidentale présentait la Turquie comme un modèle de démocratie pour les pays arabes et qu’on entendait sur les bancs de l’assemblée nationale que la Turquie était

un véritable modèle de pays musulman, démocratique et moderne [qui] se construit rapidement

(9 novembre 2010).

Des procès et des procédures comme s’il en pleuvait

Depuis que la Turquie organise des arrestations et de incarcérations en masse, les procédures judiciaires et les procès se multiplient. Seuls quelques uns sont médiatisés.

Le 18 octobre 2010 s’ouvrait devant la 6ème Cour d’assises de Diyarbakir un premier procès à l’encontre de 151 présumés coupables : des maires dont Osman Baydemir, maire métropolitain de Diyarbakir, des anciens maires, des élus locaux, cadres du BDP, présidents d’associations, tous militants du BDP, accusés d’être membres d’une organisation prétendue “terroriste”. La dernière audience, celle du 26 avril dernier n’a duré que quelques minutes. Le procès est ajourné sine die. Les détenus, certains depuis avril 2009, restent en prison.

Le 2 juillet 2012 s’ouvrait à Silivri, à 70 km à l’ouest d’Istanbul, un autre procès contre 205 militants politiques et syndicalistes, tous accusés d’être la branche stambouliote du KCK, autrement dit la branche urbaine du PKK. Quelques uns comme Busra Ersanli , universitaire de renom ou Ragip Zarakoglu, éditeur internationalement connu, ont obtenu le régime de liberté conditionnelle, mais la plupart sont toujours en détention provisoire.

Le 16 juillet 2012 s’ouvrait à Istanbul un autre procès contre 46 avocats, dont 36 détenus, poursuivis pour avoir assuré la défense d’Abdullah Öcalan, chef du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), détenu dans l’île-prison d’Imrali depuis 1999. 9 ont été remis en liberté. 25 restent incarcérés.

le 23 août 2012, la Cour de Cassation ouvrait une procédure contre le BDP, pouvant aller jusqu’à une dissolution du parti, suite à la publication d’une vidéo montrant une rencontre entre des combattants du PKK occupant des carrefours stratégiques près de la ville de Semdinli et une forte délégation composée de députés du BDP et de membres d’organisations de la société civile.

Le gouvernement turc menace les députés du principal parti kurde BDP de levée d’immunité. Les procureurs de la République ont déposé pas moins de 760 demandes de levée d’immunité auprès du Ministère de la Justice. Parmi elles, 560 visent les 29 députés kurdes encore en liberté dont 180 au cours de cinq premiers mois de l’année 2012.

Le 29 août 2012, le parquet de Malatya demandait la levée d’immunité de cinq députés BDP.

Le procès des journalistes

Le procès controversé de 44 journalistes accusés de liens avec les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a débuté ce lundi 10 septembre à Istanbul en présence de nombreux militants des droits de la presse et de parlementaires dénonçant une atteinte à la liberté d’expression. Ce sera le plus grand procès de journalistes de l’histoire de la Turquie, déclare la Plateforme de soutien aux journalistes emprisonnés (Tutuklu Gazetecilerle Dayanışma Platformu – TGDP) qui lance un appel à protester contre “un véritable crime de masse envers le journalisme”.

L’acte d’accusation, d’après la TGDP, est tragi-comique :

les fréquents appels téléphoniques entre les journalistes et employés de presse, qui font partie de leur quotidien et le plus souvent concernent leur travail d’information, sont considérés comme preuve de leur appartenance à une “organisation criminelle”. Ainsi les employés de presse et journalistes deviennent, selon cet acte, des “terroristes membres d’une organisation”, voire des “terroristes dirigeants d’une organisation”.

Les prévenus sont, pour la plupart, employés par des médias kurdes comme l’agence de presse Dicle, les quotidiens Özgür Gündem et Azadiya Welat. Douze d’entre eux encourent jusqu’à 22 ans et demi de prison en tant que “dirigeants d’une organisation terroriste”. Les autres risquent jusqu’à 15 ans de prison pour “appartenance à une organisation terroriste”.

Joachim Legatis, membre du comité directeur de l’Union fédérale des journalistes allemands, crie son indignation :

il y a 95 journalistes incarcérés en Turquie. C’est pour cette raison que nous sommes là, c’est pour dire notre opposition à cette politique.

Ce n’est pas de cette façon que la question kurde sera résolue, surenchérit le rédacteur en chef d’Argos, journal arménien édité en Turquie, il faut des réformes démocratiques pour que les armes se taisent.

Robert Koptas a remplacé Hrant Dink, assassiné le 19 janvier 2017.

La Plateforme exige que les 35 journalistes emprisonnés préventivement soient libérés immédiatement. Une délégation de la fondation Rosa Luxemburg va arriver d’Allemagne, d’après son porte parole Murat Çakır, ainsi qu’un groupe d’observateurs internationaux venant en particulier d’Autriche et de Suisse. Et d’ajouter :

Le problème le plus important pour la Turquie est la question kurde. La Turquie doit adopter une autre politique à cet égard, une politique plus démocratique, plus participative.

André Métayer