Les attentats en Turquie servent les intérêts d’Erdoğan

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Le 17 décembre 2016, un attentat à la bombe a tué 14 soldats turcs non armés et blessé plus de 50 personnes à Kayseri. L’attentat a été depuis revendiqué par les TAK (« Faucons de la Liberté du Kurdistan »). Comme lors des attaques précédentes, le HDP, Parti de la Démocratie des Peuples, regroupant militants kurdes et démocrates turcs, a condamné cette attaque dans les termes les plus forts. Pour autant, le jour même et les jours suivants, des dizaines de bureaux du HDP ont fait l’objet d’attaques programmées. Hişyar Özsoy, vice-président chargé des Affaires étrangères, député HDP de Bingöl, demande à nouveau, au nom du comité exécutif de son parti, l’aide de la communauté internationale pour que la loi soit respectée, et que cessent les pogroms contre les Kurdes et contre ceux qui se solidarisent avec eux. La liste des exactions est longue.

Les pogroms anti-kurdes : la main d’Erdoğan

Peu de temps après l’attaque de Kayseri, des groupes pro-gouvernementaux et ultranationalistes ont attaqué notre bureau de la ville. Tandis que la police et les pompiers démantelaient le sigle de notre Parti, ces groupes, brandissant un drapeau aux trois croissants, emblème des ultranationalistes turcs, chantaient “Sang pour sang! Vengeance! Vengeance!”, avant de brûler partiellement le bâtiment. En même temps que ceux du HDP, les bâtiments de l’EMEP et de la DISK (Confédération des syndicats progressistes de Turquie) étaient également attaqués et endommagés, tandis que des membres du CHP (Parti Républicain du Peuple) évitaient de justesse d’être lynchés par des groupes similaires. A Istanbul, nos bureaux de district de Beykoz, Bayrampaşa et Eyüp ont été caillassés. À Bağcılar, des assaillants ont tenté de pénétrer dans les bureaux. Selon les rapports initiaux de nos responsables provinciaux, des assaillants ont incendié notre bureau de district à Beylikdüzü et une bouteille de gaz a explosé causant de grands dommages. Ils s’en sont également pris à notre permanence d’Erzincan et ont brulé l’enseigne à l’effigie de notre parti. Des groupes de nationalistes ont envahi nos bureaux, situés dans le district de Yenimahalle, à Ankara, et se sont emparé du mobilier auquel ils ont mis le feu. Pendant ce temps, à Çanakkale, un groupe d’assaillants caillassait notre bâtiment. Lorsque les membres de notre parti ont réagi à ces actions, la police arrivée sur les lieux a répondu aux agressions en interpellant deux de nos collègues, sans tenir compte des véritables auteurs des agressions. À Darıca, (quartier de Kocaeli), notre permanence a été, à plusieurs reprises, la cible de tirs provenant d’un véhicule circulant sans plaque d’immatriculation. Notre bureau de Çukurova, (quartier d’Adana), a été gravement endommagé. Notre bureau d’Yıldırım, (district de Bursa), a également été incendié. Notre bureau à Buca, (quartier d’Izmir), a été pillé et l’enseigne de notre parti démantelée. À Eskişehir, nos représentants Zelal Yardımcı et Emine Kaya ont d’abord été attaqués par un groupe avant d’être interpellés par la police. À Kırşehir, en plus des dommages causés par les groupes ultranationalistes, 22 militants présentant notre parti ont été arrêtés par la police. Un petit groupe a marché vers notre siège d’Ankara vers minuit et a chanté des slogans racistes. D’autres sont venus plus tard et ont tenté de mettre le feu à notre siège général ainsi qu’aux voitures garées dans le garage, et ce, malgré des douzaines de policiers en garde sur les deux côtés de la rue. Plus graves encore, des étudiants kurdes ont également été attaqués dans les dortoirs de leur université et ont dû s’enfuir, alors que la foule se massait sur les lieux et que d’autres individus en voiture les pourchassaient dans les rues adjacentes. Ces attaques eurent lieu dans 5 villes et 7 districts. Nos représentants provinciaux et de district sont l’objet, sur les réseaux sociaux, de commentaires racistes et injurieux accompagnant la publication de fiches de données personnelles. La maison de Hasan Ekici, un ancien représentant de notre parti, a été attaquée à plusieurs reprises avant qu’il soit lui-même mis en détention en compagnie de deux autres représentants du HDP. Par ailleurs, un officier de police a fait une chute mortelle alors qu’il s’employait, accompagné de deux individus, à accrocher un drapeau turc sur le toit de notre bureau de district d’Istanbul. Ce n’est pas la première fois que nos bureaux sont attaqués de la sorte. Entre avril et novembre 2015, des centaines de nos bureaux, y compris notre siège à Ankara, ont été attaqués par des foules racistes. Beaucoup ont été incendiés.

Toutes ces attaques ont lieu sous les yeux de la police et des forces du ministère de l’Intérieur, sans pour autant provoquer la moindre réaction. Toutes les demandes d’interventions sont restées vaines. Ni le président Erdoğan, si prompt à réagir quand il s’agit de réprimer les mouvements d’opposition, ni son gouvernement n’ont à aucun moment condamné ces flambées de violence. Au bout de 48 heures, les critiques internationales s’élevant, 9 émeutiers auraient été arrêtés : l’information provenant de l’agence Anatolie, porte-voix du pouvoir, sans aucune confirmation indépendante, il est impossible de savoir si ces arrestations ont vraiment eu lieu. L’annonce a en tous les cas sonné le signal de l’arrêt immédiat des pogroms, signe qu’il s’agissait bien d’un mouvement coordonné et structuré et non d’émeutes populaires spontanées. Les « Foyers ottomans », milice de l’AKP, semblent responsables de ces exactions.

A qui profite le crime ?

Déjà au Congrès du Parti socialiste européen à Prague, les 6/8 décembre dernier, la délégation du HDP (Eyyup Doru, Feleknas Uca, Hişyar Özsoy, Fayik Yagizay) avait attiré l’attention des congressistes sur la situation préoccupante de leur parti en Turquie. doru_uca_ozsoy.jpgDepuis le 22 juillet 2015 (reprise de la guerre contre le PKK), en effet, la répression contre les militants et cadres du HDP ne faiblit pas et s’accélère même : 7 432 membres du HDP ont été arrêtés, 2 345 sont en prison (chiffres du 12 décembre 2016) dont 12 députés et des dizaines de co-maires. Un pogrom a déjà eu lieu en septembre 2015 (400 locaux attaqués).

Les vagues d’arrestations et de persécutions contre le HDP, dont les 59 députés qui empêchent Erdoğan de mettre en place un régime présidentiel à sa mesure, interviennent dès qu’Erdoğan se trouve en difficultés à l’intérieur (coup d’Etat de juillet 2016, révélations de la fourniture d’armes à l’Etat islamique (EI) ou aux factions syriennes d’al-Qaeda, fuite des mails montrant l’implication du gendre du Président dans le trafic de pétrole avec l’EI, etc.) ou à l’extérieur, quand les succès militaires des Kurdes contre l’EI en Syrie créent une vague de sympathie internationale pour le PKK et ses alliés.

Le coup d’Etat manqué et les attentats sanglants, aveugles, impliquant des victimes civiles, arrivent à point nommé pour déclencher une vague de répression tous azimuts sans déclencher de protestations internationales. Ankara (17 février), Istanbul (7 juin), Adana (24 novembre), Istanbul (10 décembre), Kayseri (17 décembre), à chaque fois, après quelques heures « d’enquête » concluant à la “responsabilité du PKK”, s’ensuit une répression contre des militants et responsables du HDP.

Un couac cependant : l’attentat de Diyarbakir du 4 novembre, qui a failli tuer Selahattin Demirtaş et ses camarades en garde à vue à quelques dizaines de mètres de la bombe, a été revendiqué par l’EI, petit grain de sable venant gripper la machine de propagande d’Erdoğan, avant que la revendication des TAK ne soit finalement publiée. Difficile, dès lors, de mettre l’attaque sur le dos du PKK et, l’usage de la « nouvelle Turquie » étant de ne pas enquêter sur les attentats djihadistes, l’affaire a été vite oubliée et les 11 morts passés par pertes et profits.

La vérité sur les TAK et sur les coups tordus d’Erdoğan finira bien par sortir

Les attentats des TAK passent, la propagande (“TAK = branche du PKK”) tourne à plein régime. Les agences de presse la reprennent sans enquêter ni mettre en doute sa crédibilité. Mais on a beau chercher, rien dans les attentats des TAK ne sert les intérêts du PKK, bien au contraire. Le PKK, en effet, a tout intérêt à ce qu’un parti politique pro-kurde puissant siéger au parlement et dans les municipalités, à la fois pour faire avancer la cause des Kurdes sur le plan politique, mais également pour empêcher la présidentialisation et l’islamisation de la Turquie. Or, les attentats justifient la répression et l’élimination politique de ce parti. Par ailleurs, même s’il se défend militairement avec force depuis la reprise de la guerre en 2015, le PKK reste ouvert à des négociations de paix avec la Turquie : “tout pourrait être réglé en six mois” affirme Abdullah Öcalan dans un nouvel appel à la paix et à la négociation. Or, les attentats permettent à Erdoğan d’amplifier ses attaques brutales contre les bases du PKK en Irak, ses maquis au Kurdistan nord, et les forces kurdes en Syrie. Enfin le PKK, engagé, auprès des pays occidentaux, dans une collaboration efficace contre l’EI, y compris avec un soutien militaire direct des Américains et des Européens, cherche, au grand dam d’Erdoğan, à ne plus être listé comme organisation terroriste. Mais les attentats sèment le doute et, si les services spéciaux et militaires occidentaux savent bien que le PKK n’est pas un mouvement terroriste, les gouvernements de ces pays, englués dans leurs contradictions, préfèrent adopter une attitude pusillanime, dans l’attente que la vérité sur les TAK et les coups tordus d’Erdoğan – y compris les dessous du coup d’Etat, dont rien n’est clair – finisse par sortir.

Un vœu pour 2017 ? S’il faut, pour relancer l’Europe, trouver un seul projet commun pour ses peuples, que la lutte contre Erdoğan, pour les droits des Kurdes et la démocratie en Turquie soit celui-là.

André Métayer