Les Kurdes au centre d’un conflit majeur au Moyen-Orient

Eyyup Doru, représentant en Europe du HDP (Parti démocratique des Peuples) était récemment Rennes et a rencontré à cette occasion les militants des Amitiés kurdes de Bretagne. Il a bien voulu répondre à leurs questions.

André Métayer

Le mouvement kurde n’est-il pas confronté en Syrie à une situation inédite ?

Les Etats de la région qui étaient soudés contre le mouvement kurde sont, aujourd’hui, divisés. Les grandes puissances, les anciens colonisateurs, qui étaient hostiles au mouvement kurde, sont, aujourd’hui, partagés entre actions de soutien militaires, positions diplomatiques de façade et choix géostratégique à plus long terme. Aujourd’hui ce choix est embourbé dans de terribles contradictions. La nouvelle option islamiste représentée par Daesh n’est qu’une des expressions de l’islamisme sunnite fondamentaliste, soutenu en sous-main par l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie qui sont par ailleurs membres de l’alliance forgée en raison d’intérêts économiques dont ceux investis dans les ventes d’armes ne sont pas les moindres. Le second ressort fondamental des guerres dans la région réside, il ne faut pas l’oublier, dans la confrontation des sunnites et des chiites, ce qui, impliquant l’Iran, renvoie à d’autres enjeux.

Le mouvement kurde peut-il compter sur quelques soutiens ?

L’efficacité des actions armées des forces kurdes en Syrie lui a valu des soutiens militaires aériens – et secrètement terrestres – de la part des Etats-Unis, de la Russie et, plus modestement, de l’Europe. Ce changement politique, pour important qu’il soit, se heurte à l’influence des forces régionales qui ont réussi à empêcher la participation kurde aux négociations de Genève et à des incompatibilités politiques : l’autonomie démocratique, mise en œuvre par les Kurdes au Rojava (Kurdistan syrien), constitue un modèle de gouvernance dont le développement et l’extension à la région ne peut recevoir l’assentiment ni du bloc occidental, ni de la Russie. Les Kurdes comptent donc d’abord sur leur propre détermination et l’engagement de leurs propres forces sur le terrain. La réduction du couloir par lequel la Turquie intervient en Syrie illustre la nature des rapports entre les USA, les Kurdes et la Turquie. Les américains, dans un premier temps, étaient prêts à laisser la Turquie occuper cet espace en vue de créer une “zone tampon” mais les forces armées par la Turquie (environ 1 800 hommes) n’ont pu contenir l’offensive de Daesh aux portes du canton autonome kurde d’Afrin, contrastant avec l’efficacité saluée unanimement dont font preuve les combattants et les combattantes kurdes. C’est ainsi que sous la pression des événements les positions américaine et européenne ont évolué : elles acceptent aujourd’hui, par exemple, que les FDS (Forces démocratiques syriennes, alliance des YPG/J et de plusieurs forces assyriennes et arabes) interviennent dans la bataille de reconquête de Raqqa, la capitale autoproclamée de l’Etat islamique en Syrie.

La répression contre le mouvement kurde est féroce en Turquie.

La situation dégénère en guerre totale. Sous couvert de lutte anti-Daesh, le président turc Erdoğan a engagé toutes ses forces militaires prioritairement contre les Kurdes. Il fait bombarder quotidiennement les forces combattantes kurdes en Syrie et en Irak. Son seul objectif, depuis son premier échec aux élections législatives, est de s’arroger tous les pouvoirs et de changer la constitution pour les obtenir. La première étape a consisté à interrompre les discussions de paix avec le PKK et à ré-ouvrir la guerre. L’ensemble des forces kurdes a décidé de ne pas se laisser décimer dans cette guerre. Des actions de résistance violentes, certaines spontanées, d’autres avec l’appui organisationnel du PKK, ont surgi ça et là, exprimant la révolte de la jeunesse des centre-villes. Cette résistance qui a duré plusieurs mois a été réprimée avec une violence extrême, inhumaine, faisant des milliers de morts dans la population civile : 5 700 ” terroristes” d’après le gouvernement turc qui minimise ses propres pertes militaires – chiffrées, quand même, officiellement à 600 morts et 2 700 blessés. L’accès aux zones dévastées par la répression a été refusé à Amnesty International ainsi qu’à une délégation du Parlement européen. Toutes les tentatives de médiation de la Commission européenne ont également échoué. Les Etats membres du Parlement européen se sont engagés dans la recherche d’une issue politique mais une nouvelle étape liberticide a été franchie avec la levée de l’immunité parlementaire des députés visant à éliminer les élus kurdes de la représentation nationale, et ainsi créer les conditions pour la révision constitutionnelle.

La reprise des négociations de paix est-elle possible ?

Quelques pays européens essaient de forger une solution pour la reprise des discussions de paix entre Erdoğan et le PKK mais le président turc se refuse à toute discussion. Le PKK, qui peut compter sur une force militaire de plus de 100 000 combattants, met trois conditions à la reprise des contacts : un cessez le feu bilatéral, des contacts établis officiellement avec le président Abdullah Öcalan et la présence d’un observateur d’un Etat européen reconnu par les deux parties. Cela étant, on ne dénoncera jamais assez durement le marchandage accepté par l’Europe, portant sur la rétention des réfugiés syriens par la Turquie en échange de concessions majeures faites sur le dos des droits des Kurdes. Les gouvernements européens doivent savoir que la guerre du dictateur Erdoğan contre la résistance kurde entraînera un accroissement massif du nombre global de réfugiés quand le flux des Kurdes de Turquie, expulsés ou enfuis des villes assiégées, se précipitera aux frontières européennes et, si la guerre prend une dimension ethnique, elle entraînera l’implosion de la Turquie. Les migrations intérieures sont déjà évaluées à la hauteur d’un demi-million de personnes.

Comment expliquer la position complaisante du Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak envers avec la Turquie ?

La principale explication de la politique de Massoud Barzani, Président du gouvernement régional du Kurdistan irakien et de son parti, le PDK (Parti démocratique du Kurdistan), tient dans les choix de leur politique économique qui repose exclusivement sur l’extraction et la vente de pétrole. Cette politique “rentière” met le pays en situation de dépendance totale vis-à-vis de son voisin la Turquie avec lequel se fait l’essentiel des échanges “pétrole contre importations de produits finis”, y compris – et c’est un comble ! – les carburants, faute d’avoir créé des raffineries. Mais la politique devrait changer au Kurdistan irakien où la démocratie est en panne depuis deux ans avec un président qui se maintient par défaut, faute de trouver une majorité au Parlement. Vient de s’opérer, en effet, un rapprochement entre l’UPK de Talabani et Gorran (parti de gauche alternative issu de la société civile et dissocié des clivages tribaux) qui va changer la donne.

Un mot sur le Kurdistan iranien.

12 à 13 millions de Kurdes vivent au Kurdistan iranien. Ne les oubliez pas. Leur conscience nationale est très élevée. On dénombre des dizaines d’exécutions de militants en place publique. Les jeunes apportent leur contribution aux luttes en Syrie, en Turquie. Ils constituent 20% des forces du PKK.