Les Kurdes sont-ils en train de gagner une reconnaissance internationale ?

Il y a quelque chose de changé dans le paysage audiovisuel depuis la libération de Kobanê par les troupes combattantes kurdes, qu’hier encore on traitait de “terroristes”. Le 8 février 2015, Nesrin Abdullah, commandante des YPJ, branche armée féminine du PYD, principal parti kurde de Syrie, déclarait au journal de 20h de France 2 :

je suis vraiment fière d’avoir participé à la libération de Kobanê, mais aussi de l’avoir fait en tant que femme, car c’est aussi un combat de femmes. Il y a des étudiantes, des femmes mariées. Toutes sortes de femme vont au combat.

Une soirée complète sur ARTE

Le 10 février, une soirée complète a eu lieu sur ARTE avec trois documents vidéo et des témoignages de spécialistes, de journalistes, d’hommes et de femmes politiques :

  • “Daech, naissance d’un Etat islamique” de Jérôme Fritel
  • “Encerclés par l’Etat islamique” (trois semaines avec les combattants kurdes de Sinjâr) de Xavier Muntz
  • “Öcalan et la question kurde” de Luis Miranda, dédié à la mémoire de Fidan Dogan, que nous connaissons tous sous le nom de Rojbîn).

Marie Brigitte Duigou, qui a conduit une délégation des Amitiés kurdes de Bretagne au Kurdistan de Turquie en 2014, livre à chaud ses impressions : “les 3 documents ont suscité chez moi une émotion et un intérêt crescendo. Quelle émotion de revoir Gültan Kışanak se battre bec et ongles sur la frontière syrienne, tout près de Kobanê, avec un jeune militaire turc qui empêche le passage! Voilà une maire sur le terrain. Une envergure de combattante. Des visages et des noms enfin sur une lutte historique et aussi actuelle. Le reportage sur Sinjâr est aussi très fort et montre la place de chacun. Et Öcalan, quel destin! Toujours la même aura aux yeux des Kurdes. Le caractère historique passe aussi par le massacre de Roboski et celui de nos trois amies en plein Paris. La responsabilité de la Turquie ne fait pas de doute. Il n’y a d’ailleurs aucune complaisance pour la Turquie dans ces reportages”.

Interviews et contacts tous azimuts

img_2865.jpgAsya Abdullah, co-présidente du PYD et Nesrin Abdullah,commandante des YPJ, accompagnées de Khaled Issa, représentant le PYD en France, ont eu, depuis leur arrivée en France, un agenda très chargé. Reçues dès le 8 février par François Hollande, elles ont enchainé interviews et contacts tous azimuts. Jean-Christophe Cambadélis, député de Paris, Premier secrétaire du Parti socialiste, Premier vice-président du Parti socialiste européen, les a reçues au siège du Parti socialiste et Bruno Retailleau, sénateur de la Vendée, au Sénat en tant que Président du groupe UMP. Le Figaro a fait paraître un premier article dès le 9 février et l’Humanité a annoncé qu’Asya et Nesrin seraient le 11 février rédactrices d’un jour du journal.

L’AFP, qui relate par ailleurs l’entretien entre François Hollande et Massoud Barzani, Président du Gouvernement régional kurde, dresse un portrait intéressant des femmes kurdes qui combattent en première ligne les djihadistes qui les craignent plus que tout : “ils ont peur de combattre les femmes Ils croient qu’ils n’iront pas au paradis s’ils sont abattus par une femme”.

Elles ont pu rencontrer le 9 février toutes les responsables des formations politiques et tous les militants associatifs qui se pressaient au grand meeting organisé à l’occasion de leur venue à Paris par le Conseil démocratique kurde de France et la représentation du PYD en France.

Un tournant dans la politique française ?

Le fait que François Hollande reçoive les représentants du PYD, considéré par la Turquie comme une organisation terroriste, marque incontestablement un tournant et les médias ne s’y sont pas trompés. Vu l’agenda présidentiel du moment, il est évident que la rencontre n’est pas anodine, même si par ailleurs l’Elysée feint de ne pas y apporter trop d’importance et de considérer cette rencontre comme une réunion “plutôt de nature d’information privée” tout en insistant néanmoins sur “les très bonnes relations avec les Kurdes”. Il est vrai que la France, après les Etats-Unis, est l’un des pays qui a apporté une aide aux combattants kurdes et à la population. De plus, comme tous les pays de la coalition, la France sait que, sans troupes au sol, les efforts pour vaincre le prétendu « Etat islamique » sont vains et que, jusqu’à présent, on ne peut vraiment compter que sur les combattants kurdes, qu’ils soient peshmergas du Kurdistan d’Irak, YPG du Kurdistan de Syrie ou HPG (PKK) du Kurdistan de Turquie.

L’entretien qui s’est déroulé dimanche consacre un rapprochement avec la France. Le monde commence à connaître les Kurdes sous leur vrai visage et surtout à reconnaître que nous sommes la seule force à avoir tenu tête à Daesh a déclaré Saleh Muslim, co-président du PYD. Asya Abdullah, également co-présidente, a ajouté de son côté : la rencontre s’est bien passée mais maintenant on attend des gestes concrets, des actes de la part de la France. Pour vaincre Daesh, qui dispose d’armes sophistiquées, nous avons besoin d’armes. Nous avons également parlé de la nécessité d’ouvrir un couloir pour l’acheminement des aides à Kobanê, coincée entre la frontière avec la Turquie et les zones tenues par les djihadistes.

La Coordination nationale Solidarité Kurdistan, qui avait été reçue à l’Elysée par le conseiller du Président, avait aussi demandé l’ouverture d’un couloir entre Qamishlo et Kobanê.

André Métayer