Les procès indignes de l’été 2017, qui assassinent la démocratie en Turquie

Après les arrestations et les incarcérations arbitraires, après l’épuration à grande échelle de tous les corps de l’Etat, des universités, des écoles, des municipalités et des médias, est venu le temps des procès dont l’Histoire retiendra qu’ils sont dans la lignée de ceux qui sont l’apanage de toutes dictatures. Procès iniques pour les victimes, infamants pour les tenants de l’ordre, au comportement « lamentable et honteux », comme l’a stigmatisé Selahattin Demirtaş, co-président du HDP, dont le procès s’ouvrira le 6 septembre prochain devant la 13° chambre de la Cour d’assises d’Ankara.

Auparavant, devant cette même Cour d’assises, Figen Yüksekdağ, coprésidente également du HDP, aura comparu le 4 juillet prochain, si toutefois les audiences ne sont pas remises sine die. A l’une comme à l’autre il est reproché d’avoir fondé ou dirigé une organisation terroriste, de faire la propagande pour une organisation terroriste, d’avoir incité la population à la haine et l’hostilité, de l’avoir poussée au crime, incitée à violer la loi, à participer à des manifestations et à des réunions interdites. Figen Yüksekdağ et Selahattin Demirtaş encourent respectivement 83 et 142 années de prison.

Le procès contre Gültan Kışanak, co-maire de Diyarbakir, devrait s’ouvrira le 20 juin devant la Cour d’assises de Malatya et celui de Fırat Anlı, également co-maire de Diyarbakir, le 14 juillet devant la 2° chambre de la Cour d’assises de Diyarbakir. Le CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis) pour qui “rien ne justifie qu’on enferme et juge la démocratie locale” exige leur libération. Dans une lettre type que le CGLU propose, il est demandé la libération de tous les maires et co-maires actuellement emprisonnés. Cinq, parmi les quelques quatre-vingt-dix emprisonnés, vont être traduits en justice cet été.

16 juin 2017 : Huseyin Olan, co-maire de Bitlis, ville préfectorale de 65 000 habitants

Le 16 juin dernier s’est ouvert devant la 2ème Cour pénale de Bitlis le procès de Huseyin Olan, co-maire destitué de Bitlis. Huseyin Olan a été interpellé le 25 novembre 2016, dans le cadre d’une opération “antiterroriste”, en compagnie de Mehmet Emin Özkan et de Senayet Ata, co-maires de Güroymak, ville de la province de Bitlis de 22 000 habitants. Ils sont depuis tous les trois détenus dans la prison de Bitlis, accusés d’être membres d’une organisation terroriste, d’agir en faveur d’une organisation terroriste et d’organiser ou complices d’activités terroristes. Des perquisitions ont été opérées dans les mairies respectives et aux domiciles privés des co-maires.

16 juin 2017 : Ozcan Birlik, co-maire de Mutki (district de Bitlis)

Le 16 juin dernier s’est ouvert devant la 2ème Cour pénale de Bitlis le procès d’Ozcan Birlik, co-maire destitué de Mutki (district de Bitlis). Ozcan Birlik a été interpellé le 14 décembre 2016, en compagnie d’İhsan Uğur, co-maire de Hizan et de Felemez Aydın, co-maire de Yolalan, dans le cadre d’une vaste opération contre les membres du KCK, accusés d’être la vitrine légale du PKK. Les trois maires ont été, après une garde à vue de 7 jours, mis en détention le 21 décembre 2016 dans la prison de Bitlis.

23 juillet 2017 : Tuncer Bakırhan, co-maire de Siirt, ville préfectorale de 120 000 habitants

Né à Kars en 1970, diplômé de la célèbre université Uludağ de Bursa en sciences économiques, Tuncer Bakırhan, co-maire de Siirt, a connu la prison à l’âge de 19 ans, alors qu’il était encore à l’université, avec comme chef d’accusation “propagande pro-PKK”. On le retrouve, ensuite, au fil des ans, dans des différentes instances du parti kurde sans cesse interdit et sans cesse recréé, qu’il s’appelle HEP, HADEP, DEHAP, BDP ou HDP. En 2005, alors qu’il est président du DEHAP (Parti démocratique du peuple), un tribunal d’Ankara le place sous contrôle judiciaire ainsi que huit autres dirigeants du parti, pour “soutien volontaire à une organisation clandestine” et “appartenance à une organisation armée”. Quel était son crime ? D’avoir employé le mot “Sayin” en parlant d’Abdullah Öcalan (“sayin” est une marque de respect équivalente à “honorable” ou “estimé”). Le 16 novembre 2016, Il est interpellé, mis en garde à vue et conduit à la prison de type de type F de Bolu. Il sera présenté le 23 juillet devant la 2° Cour pénale de Siirt avec comme chef d’accusation : “collusion avec un groupe terroriste armé”.

1° août 2017 : Özlem Kutlu, co-maire de Kumçatı (district de Şırnak)

Özlem Kutlu, co-maire de Kumçatı, a été interpellée et placée en détention le 9 décembre 2016 à la prison de Şırnak. Mehmet Demir, également co-maire de Kumçati, a été interpellé 4 jours plus tard et conduit également à la prison de Şırnak. Les locaux municipaux ont été perquisitionnés par les forces de l’ordre ainsi que les domiciles privés des co-maires. Kumçatı (10 000 habitants) est située dans une zone sensible, entre Şırnak et Cizre, près de la frontière turco-irako-syrienne. On se souvient tristement du siège de Cizre de février 2016 au cours duquel l’armée turque a employé des armes chimiques pour punir la population civile. Les co-maires ont été destitués et un administrateur a été nommé par décret ministériel par le sous-gouverneur de Şırnak. Une enquête pour “terrorisme” a été diligentée par le bureau du procureur. L’ouverture du procès de Özlem Kutlu est prévue pour le 1° août.

9 août 2017 : Sabite Ekinci, co-maire de Varto (province de Muş)

Sabite Ekinci, co-maire de Varto, font partie comme Özlem Kutlu des 35 femmes maires BDP en détention (sur un total de 94 co-maires aujourd’hui emprisonnés). Toutes ont été destituées et remplacement illégalement par un administrateur nommé par le ministère de l’Intérieur. Ainsi Varto, ville de 10 000 habitants, est sous la tutelle du sous-préfet Mehmet Cetin.

Enseignante de profession, Sabite Ekinci a été élue, avec le co-maire Hüseyin Güneş, avec 63% des voix. Cette institutionnalisation de co-maires, en 2014, a fait faire aux femmes un bond prodigieux dans l’accès aux responsabilités politiques, avec les retombées positives dans tous les secteurs de la vie sociale, culturelle et économique. Le nombre de femmes maires n’était que de trois en 1999. Mais la Turquie, qui ne reconnait pas cette pratique instituée dans toutes les organisations kurdes, en a pris ombrage. Varto, qui avait été en août 2015 le théâtre de sanglants affrontements entre un commando armé du PKK et des éléments de l’armée turque, a été l’objet d’une descente des forces anti-terroristes, qui ont procédé à des perquisitions dans les locaux de la mairie, mais aussi au domicile de la co-maire, au centre culturel, au siège du parti pro-kurde, à la recherche de documents pouvant étayer l’acte d’accusation d’appartenir à une organisation terroriste. Placée en garde à vue le 4 novembre 2016, Sabite Ekinci a été mise en examen le 9 et incarcérée le lendemain à la prison de Muş. Son procès s’ouvrira le 9 août devant le tribunal correctionnel de Varto. Le maire communiste de Grigny, Philippe Rio, qui avait reçu Sabite Ekinci en 2015, apporte, au nom de sa ville toute entière, son soutien à la co-maire de Varto : “c’est en résistant à la haine que nous pourrons contribuer efficacement au retour à la paix, à la protection des libertés publiques, au respect du droit de toutes les minorités et de la démocratie”.

Parrainage de Zeynep Sipçik, co-maire emprisonnée, par Laurent Russier, maire de Saint-Denis

Zeynep Sipçik, co-maire de Dargeçit (province de Mardin), fait partie des centaines, voire des milliers d’élus kurdes destitués de leurs mandats et incarcérés en Turquie, au cours des deux dernières années. Arrêtée le 31 mars 2016, elle est détenue depuis dans la prison de Sincan, non loin d’Ankara. Comme des milliers de militants politiques kurdes et de l’opposition qui croupissent dans les geôles turques, elle est accusée de “participation à une organisation terroriste”. Pour marquer son soutien aux élu(e)s kurdes emprisonné(e)s, et dénoncer la répression politique sans précédent exercée par le régime d’Erdogan, Laurent Russier, maire de Saint-Denis, a décidé de parrainer officiellement Mme Zeynep Sipçik : “je m’engage à faire connaître aux autorités de notre pays, mais aussi des autorités turques, la situation de Madame Sipçik et de tous les co-maires HDP menacés. La France et l’Union européenne doivent faire clairement entendre à la Turquie, membre du Conseil de l’Europe, qu’elle ne pourra impunément violer les droits humains”.

André Métayer