Lettre ouverte de Selahattin Demirtaş à Tayyip Erdoğan

Le 8 juillet lors du sommet du G-20 à Hambourg, interrogé sur la détention de Selahattin Demirtaş, co-président du Parti démocratique des Peuples (HDP), le président de la Turquie Erdoğan a déclaré : “la personne que vous mentionnez est un terroriste. Il est à ce point terroriste qu’il a entraîné mes frères kurdes dans la rue et en a fait tuer 53“.

Selahattin Demirtaş a adressé une lettre ouverte à Tayyip Erdoğan depuis la prison d’Edirne :

Tout d’abord, je vous retourne votre insulte, qui vise des millions de gens à travers moi. Mais d’un autre côté, j’aimerais vous « remercier » pour cet aveu.

Vous nous épargnez la peine de devoir prouver que le processus «judiciaire» en cours contre nous n’a rien à voir avec la loi et que vous l’avez personnellement décidé.

Je le dis ouvertement : au cours de ces 8 derniers mois, les procureurs qui se trouvent sous vos ordres, ainsi que plusieurs juges, ont échoué à trouver ne fut-ce qu’une seule preuve selon laquelle j’aurais, lors des incidents de Kobanê du 6 au 8 octobre, appelé la population à l’incendie et au pillage dans les rues. Si vous êtes toutefois en possession de telles preuves, je vous invite à les remettre à vos procureurs, qui cherchent désespérément quelque chose contre moi.

Je vous exprime ma «gratitude» pour avoir prononcé le verdict selon lequel je suis un « terroriste » et ai tué 54 personnes, avant même que mon procès ne débute réellement, rendant insignifiants et inutiles les procès ultérieurs. Tôt ou tard, je serai présenté à un juge. Il apparaîtra alors clairement à l’opinion publique qui est le terroriste et le meurtrier. Mais avant cela, tout est déjà clair aux yeux de Dieu.

Au fait, 44 des 54 citoyens qui ont été massacrés suite aux incidents de Kobanê étaient des membres du HDP. Alors que nos gens étaient assassinés dans les rues pendant les incidents de Kobanê, que des villes comme Cizre et Sur étaient détruites, que des civils étaient massacrés, ceux qui ont tenté de perpétrer un coup d’Etat le 15 juillet étaient en service en tant que gouverneurs, commandants, chefs de la police, procureurs et juges.

Alors que vous savez que ces personnes ont été impliquées dans la tentative de coup d’Etat du 15 juillet et ont assassiné impitoyablement des centaines de citoyens civils, au lieu d’enquêter sur le rôle qu’elles ont eu dans le massacre et les provocations du 6 au 8 octobre, vous rejetez toute la faute sur moi et cette manière de se venger sur un rival politique est une preuve de faiblesse.

Vous êtes responsable, au premier degré, de chaque incident qui s’est déroulé dans ce pays, parce que vous l’avez gouverné depuis 15 ans. Vos tentatives de faire oublier cela crèvent les yeux.

Vos attaques injustes contre moi, dans la panique, alors que je suis derrière les barreaux, révèlent une attitude bien éloignée du courage. Je veux que vous sachiez que je ne crains personne d’autre que Dieu. Je ne m’abaisserai pas à vous supplier, vous ou les instruments de la tyrannie qui se trouvent sous vos ordres. Je n’accepterai jamais le déshonneur et la soumission, même si je sais que je devrai passer le restant de mes jours en prison.

En tant que HDP, et avec tous les alliés du HDP, nous résisterons au fascisme, dans les prisons comme à l’extérieur et n’avons aucun doute sur le fait que nous vaincrons.

Je veux que vous sachiez que, même si je suis dans une cellule de Type F, ma conscience est claire, je suis courageux et je suis heureux. Alors, s’il vous plait, ne vous « inquiétez” pas pour moi.