Ma Rojbîn est immortelle. A Paris, Azraël rôde derrière trois diplomates

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sans_titre-1.jpgHasan Dogan, le père de Fidan, connue sous le nom de Rojbîn, l’une des trois militantes assassinées, nous rappelle, dans un poème, la douleur d’un père qui a perdu sa fille et qui demande justice. Azraël, l’ange de la mort, rode-t-il encore ? Qui seront ses prochaines victimes? Les amis de Rojbîn, de Sakine, de Leyla continuent le combat, le combat pour que le peuple kurde ait le droit de vivre en peuple libre. Les beaux textes parus sur le site des AKB, les hommages écrits par les Kurdes, les homélies prononcées par nombre de dirigeants kurdes (Gultan Kisanak, co-présidente du BDP, Osman Baydemir, maire de Diyarbakir…) mettent du baume au cœur des proches des trois victimes mais ne peuvent effacer leur chagrin. Ils ne peuvent non plus effacer notre colère et notre exigence de vérité et de justice. Qui a tué les trois militantes, comme le demande Eric Pelletier dans « l’Express » ? :

qui a tué trois militantes kurdes du PKK, le 9 janvier, à Paris ? L’enquête sur les traces du principal suspect, un exilé au profil déroutant, mène de la Seine-Saint-Denis au cœur de l’Anatolie. Et ravive le spectre d’un crime politique.

La complexité d’une enquête

“La justice est saisie, l’instruction suit son cours”, telle est la réponse qui est habituellement fournie à tous ceux qui posent des questions plus ou moins indiscrètes, plus ou moins pertinentes, quant à la reconstitution des faits et à l’identité des commanditaires du triple assassinat. La piste politique paraît aujourd’hui la plus plausible. Mais l’enquête se présente de façon compliquée tant dans la personnalité du suspect qui s’avère sulfureuse que dans des circonstances troublantes dignes d’un mauvais scénario de film de série B. Alors qu’il est difficile de se rendre à l’Académie Art et Culture du Kurdistan, rue d’Enghien, à Paris, sans se faire photographier, comment se fait-il que, quelques rues plus loin, le siège du Centre d’information du Kurdistan au 147 rue Lafayette, où étaient réunies trois importantes responsables kurdes, fut laissé sans protection? On peut craindre que tout ne soit pas mis en œuvre pour faciliter le travail de la justice, surtout si sont impliqués, directement ou indirectement, les services secrets d’un pays ami comme la Turquie. Des affaires précédentes, dites “sensibles”, ne plaident pas en la faveur d’un dénouement rapide. Citons pour mémoire l’affaire Mecili, cet avocat algérien qui fut abattu à Paris en 1987, à une époque où la France s’abstenait de critiquer le gouvernement algérien. Ali Mecili, militant du FFS (Front des forces socialistes) d’Hocine Aït Ahmed, a payé de sa vie son engagement. Le tueur, A. Amellou, rapidement interpellé a été vite expulsé vers son pays d’origine sur ordre de Robert Pandraud, ministre délégué à la Sécurité et vit actuellement à Alger en tout impunité. Dix ans plus tard, un mandat international était lancé contre Mohammed Hassani, un diplomate algérien soupçonné d’être le commanditaire. Arrêté à Marseille, laissé en liberté provisoire, il obtint un non lieu en 2010.

La passivité des autorités françaises

Me Antoine Comte, avocat de la famille de Fidan Dogan, pointe, dans l’affaire de l’assassinat de nos trois amies, une certaine passivité française :

depuis l’affaire Ben Barka (qui remonte à 1965, mettant en cause les autorités marocaines au plus haut niveau dans la “disparition” à Paris de ce principal opposant socialiste au roi Hassan II), il existe un permis de tuer des opposants dès lors qu’apparaissent en arrière-plan des Etats alliés, avec lesquels Paris entretient des liens particuliers, politiques ou économiques.

Cette passivité exaspère les responsables politiques kurdes : “la France doit faire plus d’efforts pour résoudre l’énigme” martèle Meral Danis Bestas, députée, co-vice-présidente du Parti pour la Paix et la Démocratie (BDP). Les militants kurdes exilés en Europe craignent pour leur sécurité : ils nous assurent avoir été prévenus que des équipes de tueurs chercheraient à éliminer des cadres du PKK. Azraël, l’ange de la mort, rôde-t-il encore ? Qui seront ses prochaines victimes?

Nous voulons un geste fort du Président de la République

Le temps judiciaire est une chose mais les familles, pour lesquelles la situation est chaque jour de plus en plus insupportable, ont besoin d’un geste de compassion de la part de nos responsables politiques : le crime a été commis sur notre territoire et met en cause notre responsabilité. Nous avons salué l’attention apportée par Manuel Valls, Ministre de l’Intérieur, en se rendant dès les premières heures sur les lieux du drame et la déclaration de François Hollande reconnaissant avoir reçu à plusieurs reprises Fidan en tant que directrice du CIK (ce qui a déclenché l’ire de Recep Tayyip Erdoğan, sommant le Président de s’expliquer sur ses relations avec les “terroristes”). Nous attendons aujourd’hui de la part du Président de la République un geste envers ces familles durement éprouvées. En les recevant à l’Elysée, il les aiderait à surmonter leur peine et il enverrait un signal fort aux assassins et à leurs commanditaires : ces crimes ne resteront pas impunis. Dans l’affaire Ben Barka, le Général de Gaulle, Président de la République, n’avait pas hésité à frapper du poing sur la table, rappelle l’avocat Antoine Comte.

André Métayer