Mon nom est Orhan Encü

La plate forme “Justice pour Roboski” publie un à un, durant 34 jours, des libelles plus émouvants que satiriques à la mémoire de chacun des 34 villageois, des jeunes pour la plupart, victimes innocentes d’un bombardement assassin survenu le 28 décembre 2011 près de la frontière turco-irakienne qui sépare de chaque côté d’une ligne de démarcation des membres d’une même famille, d’un même peuple. Ces histoires vraies sont envoyées une à une au chef du gouvernement RT Erdogan et à ses deux ministres co-responsables, celui de la Justice et celui de l’Intérieur. Celle d’Orhan Encü est l’une de celles-là.

André Métayer

Je m’appelle Orhan, j’avais 13 ans et j’étais le benjamin d’une famille pauvre et misérable. Ma mère avait l’habitude de m’appeler “la lumière de mes yeux”. C’est vrai que j’étais toujours de bonne humeur et que j’étais bon élève : je voulais être ingénieur en informatique et mes professeurs disaient que j’étais doué pour ça. J’aimais aussi les animaux et j’avais deux chiots à la maison, qui sautaient de joie en aboyant quand ils me voyaient revenir de l’école. Ma mère est morte il y a dix mois ; mais avez-vous déjà été confronté au décès de votre mère? Vous ne pouvez jamais oublier cette douleur, ce goût amer qui vous empêche de manger, de dormir.

Mon père m’avait promis de m’acheter “à la fin de la saison de la pauvreté” l’ordinateur dont je rêvais, mais la fin de la saison n’arriva jamais. Alors j’ai convaincu mon père de me laisser partir avec mon frère aîné Zeydan et cinq de mes camarades faire de la contrebande. Le deal était le suivant : l’argent gagné par Zeydan servait pour couvrir les dépenses de la famille et moi, je mettais mes gains dans “la boite en argent” en prévision de l’achat de l’ordinateur. Je faisais partie de l’équipe du soir, celle de “quatre heures et demie”.

Lorsque les sinistres nouvelles sont arrivées au village, mes chiens se sont mis à hurler à la mort : j’avais été déchiqueté avec mon âne sans qu’on puisse reconstituer le puzzle et authentifier les restes de l’un et de l’autre.

Mon nom est Orhan Encü et un petit cheval à la crinière blanche m’a pris sur son dos et m’a emporté au paradis… mais mes rêves resteront sous un noyer…

Mon frère Zeydan et moi sommes désormais enterrés sous les nuages…

Dois-je présenter des excuses à l’Etat parce qu’il a dû, pour me tuer, dépenser des sommes énormes pour fabriquer ces coûteuses bombes ?

Dois-je remercier l’Etat-major de ne pas avoir manqué sa cible?

Ça vous embête si je demande justice ?

Les bombes qui m’ont tué n’ont-elles pas tué aussi la justice ?