Non, le Kurde en Turquie n’est pas le « Gitan de chez nous »

Après l’entretien accordé par Ouest-France le 11 février 2010 à mes amis Françoise Bouard et Régis Blanchard, les réalisateurs des “Couleurs lointaines du bonheur” (il faut aller voir ce magnifique documentaire plein d’humanité qui plante deux personnages “vrais” dans un univers complexe), je souhaiterais compléter ce point de vue : je ne comparerais pas le Kurde en Turquie au “Gitan de chez nous” mais plutôt au Breton de la première moitié du siècle dernier, vu comme le peuple de “petites bonnes” exilées à Paris, brocardé avec ses “chapeaux ronds” et révolté par l’interdiction de “cracher par terre et de parler breton” placardée dans les écoles.

L’AKP parti islamiste modéré se serait prononcé pour une solution pacifique au problème kurde ? Je sais bien que tout le monde salue son “ouverture démocratique” envers les Kurdes mais avec qui veut-il discuter ? Tout dans son attitude montre qu’il veut bien “octroyer” certains droits culturels a minima pour mieux s’implanter dans des régions qui pourraient lui apporter des voix, mais qu’il ne veut pas les négocier avec des représentants élus, au motif qu’ils n’ont pas désavoué la guérilla et dénoncé le PKK comme une organisation terroriste !

Nous voilà au cœur du problème : depuis que les “groupes de paix”, composés de combattants du PKK et de réfugiés du camp de Makhmur sont “descendus de la montagne” et qu’ils ont été accueillis par une foule enthousiaste – élus compris – prête à les accompagner dans une marche pacifique jusqu’à Ankara, nul ne peut ignorer maintenant l’osmose entre une grande partie de la population certes fatiguée et meurtrie par la guerre mais toujours combative, ses propres enfants qui sont “partis à la montagne” et des représentants du peuple élus légalement. L’ampleur du phénomène, qui était pourtant prévisible, a eu l’air d’avoir surpris le gouvernement qui a fait machine arrière avec des arrestations massives – les plus importantes depuis dix ans – l’interdiction du parti pro-kurde etc.

Personne ne veut voir non plus que l’aura et l’autorité du détenu Öcalan sont intactes et que les Kurdes se préparent à le rappeler une fois de plus, le 13 février prochain, avant-veille du 11ème anniversaire de l’enlèvement et de l’incarcération dans une prison de haute sécurité de celui qui est toujours le leader du Parti des Travailleurs du Kurdistan.

Pour en revenir à l’interview citée en référence, Françoise Bouard et Régis Blanchard ont raison de demander “que les droits sociaux et culturels soient reconnus aux Kurdes”, mais sans oublier les droits politiques, le tout garanti par une révision constitutionnelle : c’est la clef de voûte de toute réforme de fond.

Reste un dernier point : le rêve d’un Kurdistan unifié ! C’est vrai qu’il n’est pas d’actualité et que personne ne veut remettre en cause les frontières existantes mais il ne faut pas oublier que ces frontières ont été inventées pour répondre, à un moment donné, à des raisons précises et, qui plus est, ont été décidées et dessinées par des puissances extérieures, française et anglaise, se répartissant en quelque sorte un trésor de guerre.

On est loin du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Cela étant il faut aller voir “Les couleurs lointaines du bonheur”[[Paris, Cinéma Latina, le samedi 13 février à 20h ; sur TV Rennes 35 la version 52′ le samedi 13/02 à 23h et le dimanche 14/02 à 20h40]] qui donne la parole à deux jeunes Kurdes “en quête d’une identité singulière et contemporaine, d’une place bien à eux…”

André Métayer