Que se passe-t-il là-bas, au Rojava ? Une révolution

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carte_rojava.1.jpg«Ce qui se passe là-bas, au Rojava, c’est comme la Révolution française chez vous» nous déclare d’emblée Mehmet Hidir Demiroglu, maire sortant de Çukurca (Çelê en kurde) lorsque nous sommes retournés cette année dans cette petite commune frontalière de l’Irak, ajoutant à cela : «Öcalan est resté longtemps là-bas. Ils sont en train de mettre en place son modèle de société.»

Alors que se passe-t-il là-bas, dans ce Kurdistan occidental, ce Kurdistan syrien, nommé en kurde Rojava ? Nous avons eu la chance de rencontrer à Diyarbakir, grâce à l’organisation mise en place par le BDP (Parti pour la Paix et la Démocratie, parti pro-kurde du Kurdistan de Turquie), une délégation de Kobanê : deux représentantes de l’Assemblée législative du canton – dont la vice-présidente – et le ministre des affaires étrangères, Ibrahim Kurdo.2-ass_canton_kobane.jpg

Le Kurdistan syrien doté d’une “autorité démocratique et autonome” a adopté sa Constitution (contrat social) qui divise la région kurde en trois cantons : Djezira (le canton le plus peuplé comprenant notamment la ville de Qamişlo), Kobanê et Efrin. Il reconnaît trois langues officielles. Malheureusement, ces cantons sont isolés les uns des autres par deux corridors d’une soixantaine de km qui prennent Kobanê en sandwich. Ces corridors, peuplés par des Arabes, sont sous contrôle des combattants djihadistes de l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL). Les populations kurdes sont contraintes de passer par la Turquie pour circuler d’un canton à l’autre. La Turquie a mis en place de son côté un embargo sur toute la région.

Ibrahim Kurdo tient particulièrement à nous faire partager son indignation :

la Turquie alimente l’idée que parce que nous nous défendons contre les attaques des djihadistes, nous soutenons le régime de Bachar El-Assad. C’est faux ! Ni les uns ni les autres ne sont des démocrates.

Un troisième modèle de gouvernance dans le monde

Le modèle démocratique mis en place au Rojava n’est “ni un fédéralisme classique, ni une autonomie classique”. A l’Etat unitaire, les Kurdes de Syrie opposent l’idée de gouvernance locale, de décentralisation. C’est l’Assemblée législative de l’Autorité démocratique et autonome du Kurdistan syrien qui a formalisé ce modèle démocratique, écrit la Constitution, mis en place une loi électorale. Chaque canton est habilité à déclarer sa propre autonomie démocratique et à se doter de structures de gouvernance selon le modèle défini : une assemblée législative, des ministres. Ce modèle inclut les Kurdes, les Arabes, les Arméniens, les Assyriens, les Tchétchènes, mais aussi les différentes religions comme l’islam, le christianisme, le yézidisme etc… Le canton de Djezira a adopté trois langues officielles (kurde, arabe, syriaque). Une des jeunes femmes présentes prend la parole pour expliquer que «les femmes sont fortement représentées dans les gouvernements de ces trois cantons. C’est une femme qui est à la tête du canton d’Efrin.»

Les Kurdes de Diyarbakir appuient la révolution au Rojava

«Le BDP de Diyarbakir[[qui a remporté les élections locales avec 70 % des voix]] veut renforcer la marche de la révolution au Rojava» dit Eşref Mamedoglu, vice-président de la section locale du BDP à Diyarbakir pour qui «l’influence du PKK est un acteur important au Moyen-Orient.» En même temps qu’il souligne la cohésion entre l’idéal démocratique des Kurdes du Rojava et des Kurdes de Turquie, il montre l’interdépendance entre les avancées des uns et des autres. «Le système d’Ocalan est en train de se construire. Rojava, c’est le test.» Le corollaire, c’est la défiance et le rejet du système de gouvernance adopté par le Parlement du Kurdistan irakien sous l’influence du parti majoritaire du président Barzani, le PDK (parti démocratique du Kurdistan) comme nous l’avait confié Servet Tunç, le nouveau maire de Çukurca, lors de notre entretien dans cette commune frontalière :

au Kurdistan irakien, le système est très différent. Il n’y a pas de relations entre nous. La frontière est sous contrôle du PDK d’un côté et sous contrôle du PKK de l’autre.

Le PDK chercherait à s’installer à Diyarbakir, nous a-t-on dit.

Des boucliers humains pour s’opposer à l’envahisseur

dsc02526.jpgIbrahim Kurdo :

cette révolution qui a remonté le moral des peuples est la seule option offrant une perspective de coexistence basée sur l’égalité et la liberté. Cette grande révolution est contestée par certaines forces internationales et les Etats régionaux qui veulent la détruire, notamment la Turquie et certains pays arabes oligarchiques qui apportent un soutien politique, logistique, financier et militaire à des groupes comme Al-Qaida, l’EIIL et Al Nosra. Quel que soit le prix à payer, nous sommes prêts à servir de boucliers humains pour faire échouer les plans de l’EIIL. Aucune force ne pourra résister à cette révolution.

Alors que nous étions en discussion avec la délégation du Rojava, des affrontements se produisaient à Kobanê. Depuis notre retour, ce canton, géographiquement vulnérable, continue d’être victime des attaques de l’EIIL. Le silence international est impressionnant, comme si la déstabilisation du Kurdistan occidental était, pour certains, l’objectif majeur à atteindre.

Marie-Brigitte Duigou