Quel avenir pour les Kurdes ? Riza Altun, “ministre” des Affaires étrangères du PKK, s’exprime

Dans une longue interview accordée au journal Yeni Özgür Politika le 16 septembre dernier, huit jours avant le référendum organisé au Kurdistan d’Irak (Başûr), Riza Altun – un proche du leader Abdullah Öcalan – responsable des relations extérieures du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), membre du comité exécutif du KCK (Union des Communautés du Kurdistan), répondait aux questions posées qui pourraient se résumer ainsi : “quel avenir pour les Kurdes?”.

Riza Altun, dans sa réponse, se situe dans une perspective résolument socialiste et anti système capitaliste, celle conçue par Abdullah Öcalan et mise en application au Rojava (Kurdistan de Syrie), celle d’une société démocratique, post-étatiste, multiethnique, laïque, écologiste, féministe, en opposition au système capitaliste qui règne au Moyen Orient.

Avec un préalable : l’unité de tous les Kurdes des quatre parties du Kurdistan. Et une méthode : surfer sur les antagonismes et les intérêts contradictoires entre les puissances capitalistes (internationales et/ou régionales) empêtrées dans la défense de leurs intérêts économiques et stratégiques au Moyen-Orient : “cette troisième guerre mondiale qui commence ici n’est pas seulement une guerre pour le pétrole”.

Riza Altun

Riza Altun, qui a passé treize ans dans les geôles turques, n’est pas un inconnu en France où il est arrivé en 2000, en provenance d’Iran. Les relations entre ce haut responsable kurde et le contre-espionnage français sont restées discrètes, mais solidement nouées par des accords tacites et des intérêts bien compris, jusqu’au 5 février 2007 où il est interpellé et mis en examen pour “association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste”. Il est suspecté d’être l’instigateur de la “kampanya”, la collecte de “l’impôt révolutionnaire” auprès de la diaspora kurde, en faveur de “l’organisation”. Mis en détention provisoire, il en ressort dix jours après. Placé sous contrôle judiciaire, ce personnage encombrant pour la France est, au grand dam de la Turquie, gentiment exfiltré, via l’Autriche où il est un temps retenu, vers les monts Qandil, où se trouve le camp de base des combattants du PKK dont les positions stratégiques se situent quelque part au Başûr, à la frontière avec la Turquie et l’Iran.

Le référendum : inopportun, dangereux et contreproductif

Le Başûr, région qui a obtenu un statut d’autonomie, s’est mise dans une situation extrêmement compliquée après un référendum d’autodétermination organisé le 24 septembre 2017, dont le oui à l’indépendance l’a logiquement remporté, mais qui fit l’unanimité contre lui à l’extérieur, à l’international et qui a créé un malaise profond entre les Kurdes eux-mêmes. Si les Kurdes d’Irak ou d’ailleurs ont toute légitimité pour organiser un référendum sur l’indépendance de leur territoire, la légitimité ne suffit pas. A coup sûr, ce n’était pas le bon moment. L’Irak a envoyé ses troupes reprendre le contrôle des « territoires disputés », ces zones majoritairement habitées par les Kurdes et placées sous leur contrôle depuis 2003. Ces zones situées hors de la région autonome, et notamment la riche province pétrolière de Kirkuk, qui aurait pu assurer la viabilité économique d’un hypothétique Etat kurde. Aujourd’hui, le Kurdistan d’Irak est dans l’impasse. Le jugement de Riza Altun porté dès le 16 septembre sur ce référendum était déjà sévère et prémonitoire, mettant notamment en avant la nocivité de cette initiative qui ne pouvait être une réponse à la crise économique et sociétale de cette région autonome : dirigée par un président qui se maintient au pouvoir bien que son mandat soit terminé depuis 2 ans, elle est aux prises à des divisions internes entre partis kurdes et à une faillite économique qui affecte gravement le quotidien de la population : « Ils n’ont même plus les moyens de payer les salaires des peshmergas (les forces armées du Başûr) » dit Riza Altun dont le principal reproche qu’il fait à cette initiative est d’avoir mis en danger l’unité des Kurdes :

aller vers un référendum sans prendre le soutien de tous les Kurdes est une approche problématique. La question kurde est devenue un sujet international. C’est une conquête importante. La possibilité pour les Kurdes de gagner est très forte. Mais le risque d’échec aussi. Alors, plutôt que d’avancer avec des agendas différents, il est indispensable de créer une union kurde, et créer des ordres du jour communs, plutôt que d’avancer en ordre dispersé.

Nous offrons des solutions aux problèmes créés par le système capitaliste

La lutte pour la liberté menée par le PKK depuis 40 a contribué à l’effondrement du système capitaliste au Moyen-Orient. La lutte ici est idéologique, politique et antisystème. L’impérialisme mondial veut développer une hégémonie mondiale et un système postmoderne à travers cette lutte. Les États régionaux essaient de protéger leurs gains et leurs avantages acquis. Mais les peuples opprimés et les milieux sociaux essaient aussi de retrouver liberté et égalité à partir de cet effondrement. C’est ce qui se passe actuellement à Rojava. Par la lutte contre le capitalisme, contre l’impérialisme et le colonialisme, nous voulons ouvrir au sein du système capitaliste mondial un champ de liberté. Nous voulons ouvrir un champ de liberté dans un monde asservi.

Comment y arriver concrètement au Rojava et ailleurs ?

Les peuples opprimés et les forces impérialistes ont parfois des intérêts en commun qui les amènent à former un partenariat tactique. Au Moyen-Orient c’est peut-être une première. Mais dans le monde, ce type d’accord ne date pas d’hier. Durant la Seconde Guerre Mondiale, par exemple, des alliances se sont créées entre l’Union Soviétique et les Etats-Unis pour lutter contre le nazisme. Cette alliance était-elle une coopération de l’Union Soviétique avec les Etats-Unis ? Ce serait avoir une approche simpliste et dogmatique. Après la défaite du nazisme, chacun est retourné vers sa position politique et continua sur la base de sa ligne idéologico-politique. Nous allons voir beaucoup de choses au Moyen-Orient que nous n’avons pas vu jusqu’à maintenant car la réalité est très complexe. On trouve sur le terrain des forces impérialistes internationales dont les représentants sont la Russie, les Etats-Unis et l’Union Européenne, des forces régionales antagonistes qui sont la Turquie, l’Iran et l’Arabie Saoudite, et une troisième représentée ici par le PKK et les forces démocratiques. Ces forces combattent ensemble (contre Daech) mais les deux premières se battent aussi entre elles, et se disputent même en interne. Des alliances conjoncturelles et des relations tactiques peuvent donc se nouer au gré de la défense d’intérêts particuliers. Tout le monde est en conflit mais tout le monde est également en relation. Nous pouvons donc profiter de toutes ces contradictions et de ces conflits pour faire avance l’idéal socialiste.

André Métayer

Sources :
Rıza Altun, du KCK, s’exprime sur le référendum d’indépendance
Riza Altun : La mise en place de zones libres a lieu pour la 1ère fois au Moyen Orient
Riza Altun : Nous offrons des solutions aux problèmes créés par le système capitaliste