Rage et tendresse, la langue de Caroline mêle les rires et les larmes

Caroline Troin nous faisait parvenir hier quelques échos du rassemblement qui s’est tenu samedi dernier à Douarnenez à l’appel du collectif « Fraternité », « Brayetî » en kurde. Elle y évoque les courts métrages, musiques, chants, danses qui ont ponctué cette journée de rencontres. On dit trop peu souvent que la fête féconde et illumine le vivre ensemble, que la culture comme l’éducation sont au cœur des droits humains élémentaires. Que l’on se bat, qu’il faut lutter pour conquérir ces droits, et les défendre, les élargir, en rendre l’accès possible et attrayant à tous.
Douarnenez est un de ces hauts lieux en Bretagne, dans le monde, où le festival de cinéma, chaque année depuis 1978, poursuit ce but. Caroline Troin en a été une active animatrice pendant 20 ans dont quinze comme codirectrice. Elle écrit également et c’est l’écrivaine dont nous souhaitons faire connaître à un plus grand nombre le livre qu’elle a publié cet été aux éditions Locus Solus.

Absence injustifiée est un recueil de trente cours récits

Le premier, le temps d’un bougement de balançoire, introduit un saisissant portrait de quelques défenseurs bien connus de la cause kurde, Farouk, André des AKB… Trois quatre mots, une image, vous voilà pris dans l’écriture de Caroline Troin, une vraie langue à elle. Quant à la troisième histoire elle nous conduit directement avec Fulvia, une journaliste italienne, à une dizaine d’heures de piste de Soulaimanyé, dans le Kurdistan-sud en Irak. La nouvelle s’intitule « Elvis dort au Kurdistan ». Elvis, c’est Elvis Presley, The King. Vous verrez, jubilatoire !

Absence injustifiée est un de ces livres qui réconcilient avec l’humanité. Au même titre que les cinéastes, les artistes, les hommes et femmes de tous les pays, de tous les peuples du monde que, avec les équipes du Festival, Caroline est souvent allée rencontrer chez eux pour les accueillir chez nous.

On se comprend, l’humanité dans Absence Injustifiée c’est des personnes avec des noms. Avec des vies. Des « Farouk » de partout, interdits comme lui de retour chez eux. Menacés d’extinction par des régimes totalitaires ou par notre exploitation criminelle des forêts, comme Roger, nomade, chasseur cueilleur, à la tête de sa délégation d’Atikamekw, des indiens de haute Mauricie au Québec. Ou risquant leur vie, comme Mylène (Mylène ouragan, Mylène cyclone non répertorié sur les cartes météo) témoin auprès de nous des journalistes russes et militants Tchéchènes assassinés, Natalia, Anna, Rayana, Alik, sans qui s’est tenue en 2009 l’édition Caucase du Festival.

Carnet de voyages sucrés-salés

L’attrait passionné pour la découverte des ailleurs et la rencontre des autres, s’est, chez Caroline Troin, formé dès l’enfance. En même temps qu’elle a connu à neuf ans dans trois mois au Maroc en perdant sa mère, le scandale de la mort. L’injustice de la disparition de tous ces êtres avec qui on partage de l’amour, de la solidarité, de la révolte. Rage et tendresse, résistance aux malheurs et jouissance d’exister ne la quittent pas. Tout cela affleure dans les moments les plus quotidiens à travers lesquels se tissent les trente mini récits mêlés de larmes et de rires. A l’image du sous-titre : carnet de voyages sucrés-salés. Des pages qui vous tiennent et vous tirent par la main comme les boucles d’une gavotte ou, si proche, de danse en ligne kurde. La signature d’un super beau talent.

François Maspero écrit, dans sa préface rédigée pour « Absence injustifiée » peu avant sa mort : « J’en arrive ici au don de Caroline que, pour ma part, je trouve le plus précieux. Pour elle, les morts ne sont jamais absents ». Oui, un don de vie !

René Péron

Absence injustifiée, Caroline Troin, éd. Locus Solus, 174 pages, 2015, 12,50 euros

Nous reviendrons tout bientôt détailler le programme de l’édition 2016 du festival de Douarnenez. Il se tiendra entre le 19 et le 27 août. Les peuples de Turquie en sont les invités.