Séisme en Turquie, les autorités locales kurdes dénoncent l’incurie gouvernementale et lancent un appel

Vingt quatre heures après le tremblement de terre qui a secoué la région près du Lac de Van, on dénombre déjà plus de 400 morts, 1300 blessés, et de nombreux disparus ; les destructions sont énormes et plus de 500.000 personnes sont sans abri. Selahattin Demirtaş et Gültan Kisanak, co-présidents du BDP ne décolèrent pas en constatant que le gouvernement turc a été incapable de prendre des mesures immédiates pour venir en aide aux citoyens de cette région : le premier ministre a mis plus de vingt quatre heures avant de se rendre à Van et n’a encore envoyé aucun secours à nombreux de villages isolés.

A Ercis, ville de 75.000habitants, la colère gronde chez les sinistrés : “Dans l’autre camp, celui où sont logés toutes les familles de militaires et de fonctionnaires, celui que les ministres vont visiter et où sont concentrés tous les journalistes, il y a des repas chauds, il y a le chauffage. Nous, on ne s’occupe pas de nous parce qu’on est Kurdes” c’est une dépêche de l’A.F.P. du 25/10/11 qui relate ce propos d’un homme en colère et qui poursuit : “Les soupçons pèsent aussi sur la mairie, aux mains du Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste), au pouvoir, à qui certains reprochent de favoriser ses électeurs“.

Ankara refuse l’aide internationale

Gültan Kisanak, qui s’est immédiatement rendue, avec une délégation comprenant les maires BDP de Diyarbakır, Van, Agri et Siirt, a dénoncé l’insuffisance des moyens d’Etat alors que le Premier ministre R.T. Erdogan refuse l’aide de la Solidarité internationale :
les opérations de sauvetage sont à la fois insuffisantes et non coordonnées ; le courage des sauveteurs et de la population ne peut remplacer une organisation dont on attend les compétences professionnelles requises pour sauver des vies. Malgré de longues discussions depuis le séisme du 17 août à 1999, il est clair que le gouvernement n’a pas tiré les leçons et qu’il est pris au dépourvu. La population doit donc se débrouiller par elle-même“.

La solidarité kurde est en place et la ville de Diyarbakir a dépêché des équipes de recherche et de sauvetage, les équipes techniques, les véhicules de secours, des autobus ; la région de Van a fourni un hôpital de campagne et des services de première urgence pour prodiguer des soins et fournir l’aide alimentaire à ceux qui ont tout perdu. L’appel de Gültan Kisanak, relayée par toutes les collectivités locales et les ONG des régions kurdes a été entendu et toute la population est mobilisée.

S.O.S. kurde : appel aux dons

Un appel international est lancé par le Parti pour la Paix et la Démocratie (BDP) :

“Des milliers de personnes qui ont tout perdu sont dans une situation désespérée ; les besoins sont énormes : nourriture • aliments pour bébé • abri • médicaments • eau • vêtements • tentes • couvertures • réchauds à gaz….. Les sinistrés de la région de Van ont besoin du soutien de la communauté mondiale maintenant plus que jamais”. (communiqué du BDP)

Envoyez vos dons, en précisant “Séisme Van” à Croissant rouge kurde,

Compte bancaire :

BNP Paribas bank

RIB 30004 00782 00010064428 64

IBAN FR76 3000 4007 8200 0100 6442 864

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L’armée turque est entrée en Irak

L’incurie gouvernementale dénoncée par les élus kurdes est-elle avérée et cache-telle d’autres préoccupations plus bellicistes? Le très pro gouvernemental journal turc “Zeman” titre “des soldats turcs sont entrés en Irak vers les camps du PKK” et précise, de “sources sécuritaires de Diyarbakir”, qu’une vingtaine de chars et une trentaine de camions militaires se dirigent vers les bases du PKK. Informations curieusement démenties par les autorités militaires mais confirmées par les “Forces de Défense du Peuple” (HPG) du PKK : 1000 soldats turcs avec des armes lourdes sont entrés dans la vallée de la Haftanin avec le soutien d’avions de combat et d’hélicoptères de type Cobra. Les affrontements se poursuivent. 10.000 militaires des “forces spéciales” sont massés à la frontière.

“Le Premier ministre qui appelle chacun à s’engager dans la lutte dit que ce n’est pas la guerre mais une opération [de maintien de l’ordre] pour réprimer le terrorisme” remarque le Député BDP de Mersin, Ertuğrul Kürkçü, grande figure de la résistance aux coups d’Etat militaires, condamné à mort en 1974 et libéré en 1986 après 14 années de prison. “Mais, poursuit l’ancien leader de la contestation de 1968, nulle part ailleurs dans le monde on lance une opération avec 10 mille soldats pour réprimer le terrorisme. Comme au temps de l’ancien Premier ministre Ciller, les généraux sont à nouveau à la manœuvre pour des opérations vaines au cours des quelles des soldats turcs et des guérillas kurdes vont s’entretuer pour rien”.

Neçirvan Barzani à Erdogan : la guerre n’est pas une solution

La guerre des communiqués est aussi ouverte après la visite à Ankara de Neçirvan Barzani, ancien Premier ministre de la province autonome du Kurdistan irakien et Vice président du KDP, le parti au pouvoir, dont l’objectif semble avoir été avant tout de préserver les échanges commerciaux, juteux pour les deux pays, la Turquie étant le premier investisseur étranger en Irak. “rien ne doit pas en aucun cas entraîner une détérioration des relations entre Turcs et Kurdes.” aurait déclaré, selon la presse turque, Neçirvan Barzani qui, depuis Ankara, lors de son entretien avec R.T. Erdogan, le 20 octobre dernier, aurait donné des gages en se désolidarisant du PKK et en condamnant les opérations lancées à partir du territoire irakien : “la constitution irakienne ne permet pas à n’importe qui de faire quoi que ce soit, à partir de notre territoire, contre un pays voisin”. Mais, quatre jours plus tard, de retour dans son fief, à Erbil, il aurait déclaré avoir délivré aux autorités turques le message suivant : “Le problème kurde est politique et doit être, avec ou sans le PKK, résolu. L’expérience montre que la guerre ne résout rien et la mise en détention d’hommes et de femmes politiques n’est pas une réponse politique. La seule façon de résoudre le problème passe par le dialogue avec le PKK et Öcalan“. Et de conclure : “nous sommes prêts à aider à trouver une solution politique par des voies pacifiques“.

Est-ce un revirement ? Plutôt un ajustement face à un mécontentement populaire dû aux bombardements de l’aviation turque turques qui “passent” mal auprès de la population aspirant en tout premier lieu à une vie tranquille : les belligérants devraient régler leurs problèmes ailleurs. Si à Bagdad, on condamne les activités “terroristes” du PKK, à Erbil on se sent plus solidaire : “le problème est que le gouvernement turc n’écoute pas les demandes des Kurdes. Ils ne veulent pas l’indépendance, ils veulent vivre comme des êtres humains respectés dans leurs pays“. (propos recueillis par AFP, W.G. DUNLOP, 21 oct. 2011)

André Métayer