Sur la trace des kolbars

Depuis des siècles, des individus se jouent des frontières et de leur absurdité pour vivre et survivre du transport de marchandises et de leur revente. Les qualificatifs ne manquent pas pour désigner les contrebandiers à travers le monde. Au Kurdistan, on les appelle les kolbars, littéralement « porteurs ». Ils n’achètent pas et ne revendent pas ; ils ne font « que » transporter vers le Rojhelat et l’Iran des biens de consommations en provenance de Turquie mais surtout des territoires irakiens administrés par le Gouvernement régional du Kurdistan (KRG). Ils chargent parfois sur leurs épaules des bidons d’essence iranienne, bon marché sur le sol irakien.

Cigarettes, alcools, électroménagers, pièces détachées automobiles… ils transportent sur leurs épaules de lourds fardeaux dépassant fréquemment les 50 kilos. Intermédiaires vulnérables d’un commerce illégal institutionnalisé en Iran, ils sont régulièrement pris à partie par les gardes-frontières iraniens. De manière tout à fait arbitraire, ces derniers ouvrent le feu régulièrement sur ces silhouettes écrasées par leurs charges au milieu des montagnes du Zagros où serpente la frontière irako-iranienne. Outre les balles des soldats, ils doivent déjouer le froid (polaire en hiver à près de 3 000 mètres d’altitude), les tempêtes de neige, les avalanches, les éboulis, les chutes… Le tout sur des sentiers vertigineux (voir la vidéo).

Les kolbars se déplacent souvent en groupe de plusieurs dizaines d’individus. Une fois la cargaison récupérée du côté irakien de la frontière, ils mettent une demi-journée, parfois plus, à rejoindre les vallées kurdes d’Iran. Là-bas, de longues files de voitures les attendent sur les bas-côtés. Ce sont surtout leurs chargements qui sont attendus pour venir alimenter le commerce légal et illégal des villes aussi grandes et éloignées qu’Ispahan ou Téhéran.

Selon le ministre des finances du KRG, l’importation transfrontalière illégale de marchandises vers l’Iran atteindrait un chiffre d’affaire annuel de l’ordre de huit milliards de dollars. De part et d’autre de la frontière les grossistes et commerçants se frottent les mains pendant que les kolbars s’épuisent et ne ramassent que les miettes. Ils risquent leurs vies pour une poignée de dollars, une vingtaine tout au plus, souvent moitié moins. L’exploitation de la misère humaine par l’homme.

Car la situation économique affligeante des régions kurdes d’Iran, sans industries d’envergure et laissées en marge du relatif développement économique du reste du pays, poussent de nombreux Kurdes sur les flancs des montagnes du Zagros. Selon différentes sources, le nombre de kolbars se chiffrerait entre 30 000 et 80 000 hommes, âgés de 13 à 70 ans. Au Rojhelat, ce sont trois cents à cinq cent mille personnes qui seraient tributaires du transport de marchandises illégales pour survivre.

Les récentes sanctions américaines à l’égard de l’Iran n’ont pas arrangé la situation des kolbars. Alors que les autorités kurdes irakiennes fermaient assez facilement les yeux il y a peu, elles sont désormais soumises à la pression des Etats-Unis qui désire imposer à l’Iran un embargo économique total.

Tony Rublon

Kolbari kolnader (Les kolbars ne plient pas)

Kurdistan Human Rights Network (RDHK), une organisation non gouvernementale créée officiellement en France en 2014 par un groupe d’avocats et de militants des droits humains, a édité la brochure Kolbari kolnader pour informer le public sur la situation des kolbars. Tout l’argent de la vente des brochures ira à cette association afin de la soutenir dans ses missions, réalisées dans des conditions difficiles au vu de la répression qui touche les Kurdes en Iran.

Les 36 pages sont le résultat d’un travail photographique documentaire réalisé entre 2017 et 2019.

Pour commander Kolbari kolnader, écrire à Loez. Prix unitaire : 8 € (+ frais de port).