Tony Rublon et ses photos nous parlent du Sinjar

Dans la nuit du 2 au 3 aout 2014, les djihadistes de l’Etat Islamique pénétrèrent dans la région de Sinjar, peuplée en grande majorité de Yézidis. En 24 heures, près de 200 000 personnes, hommes, femmes et enfants, fuirent sur les routes de l’exode, Pendant plus de 15 mois, les combats pour chasser l’ennemi vont transformer les villages et la ville de Sinjar en champs de ruines.

Tony Rublon, doctorant en histoire et sociologie politique, a photographié le Sinjar au cours d’une mission des Amitiés kurdes de Bretagne, région qui garde les cicatrices de l’invasion de l’Etat islamique près d’un an après la libération.

“Stigmates du temps, témoins des horreurs, derniers rescapés du massacre”

Tony parle et photographie :

lorsque nous arrivons dans la ville de Sinjar, en ce mois de novembre 2016, elle est envahie par le sable, en plein cœur d’une tempête donnant à cette ville de ruines des couleurs oxydées. Que faire de ces ruines, stigmates du temps, témoins des moindres horreurs, dernières rescapées du massacre ? Maintenir la mémoire intacte, c’est ce que le maire de Sinjar souhaite faire dire à ces ruines, en transformant le centre-ville en musée à ciel ouvert. Les ruines questionnent notre rapport au temps et à l’espace. Entre enjeux politiques et omniprésence du religieux, le Sinjar illustre la complexité d’un Moyen-Orient troublé et chaotique. Ces photos rendent hommage à ces interstices de vie qui se déploient entre les ruines. A ces hommes, ces femmes, ces enfants qui habitent les stigmates du temps.

Le Kurdistan d’Irak maintenait un blocus total contre le Sinjar, empêchant les Yézidis d’y revenir. Il bloquait également l’arrivée du matériel de reconstruction, des médicaments et des biens de premières nécessités au check-point d’Al-Dirboni, sur le Tigre. Les habitants restés dans les villages du Sinjar ne pouvaient donc pas reconstruire les maisons, ni les infrastructures électriques, ni les points d’accès à l’eau.

Le 17 octobre 2017, les milices chiites Hashd-al-Shaabi et l’armée irakienne ont pris le contrôle de tout le secteur auparavant tenu par le Kurdistan d’Irak, suite au retrait précipité des Peshmergas. Seule la région tenue par « l’autonomie démocratique de l’Ezîdxan, » proche du PKK et du PYD du Rojava et protégée par les YBŞ, est restée autonome.

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Les photos de Tony, qui ont été exposées à la Maison internationale de Rennes, appuient son témoignage :

des villages de tente se construisent un peu partout dans les vallées, soutenus par les quelques associations humanitaires qui ont le droit temporaire de travailler sur la zone. Les camps de déplacés temporaires se transforment donc en camps permanents où les conditions de vies se dégradent jour après jour. La reconstruction de la zone est dépendante de la levée du blocus par les autorités du Kurdistan d’Irak. Située à 4 kilomètres des zones d’habitations, une école publique et gratuite s’est ouverte en septembre 2016. Au pied de la montagne, sur un site appelé Qandil, elle accueille 170 élèves qui font le trajet à pieds matin et soir.

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Tony Rublon ajoute que les enseignants – tous bénévoles – et le matériel n’étaient pas suffisants pour pouvoir assurer un enseignement de qualité et note que, dans le domaine de l’éducation également, les fractures politiques s’expriment : les écoles publiques ouvertes en zone contrôlée à l’époque par le Kurdistan d’Irak et aujourd’hui par les milices chiites enseignent l’alphabet arabe alors que les écoles ouvertes par l’autonomie démocratique de l’Ezîdxan enseignent l’alphabet latin.

André Métayer