Turquie : bas les masques. La France en porte-à-faux

Nous nous étions déjà interrogés à haute voix pour savoir si l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne permettrait de développer dans ce pays des pratiques démocratiques ou si, au contraire, elle constituerait un danger pour la démocratie en Europe. La Turquie n’est pas encore européenne mais nous avons déjà la réponse : Erdoğan vient dans notre pays faire campagne pour un référendum liberticide qui aura lieu en Turquie le 16 avril et qui donnera au Président les pouvoirs d’un dictateur. Les sondages donne le “non” gagnant mais il ne fait aucun doute que le “oui” triomphera : toute opposition politique et les moyens d’information sont muselés, même l’armée est victime de purges !

Et Erdoğan est le champion toutes catégories de l’intimidation et de la triche en tous genres, jusqu’au bourrage des urnes dont le dépouillement se fait parfois dans des conditions rocambolesques. Mais, par plus de sureté, Erdoğan veut aussi mobiliser les électeurs potentiels émigrés en Europe. 800 personnes issues de la communauté turque de l’est de la France étaient rassemblées dimanche 12 mars à la mi-journée à Metz, en meeting pour accueillir le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu. La veille, il avait été refoulé des Pays-Bas par les autorités néerlandaises, au grand dam d’un Erdoğan vitupérant et provoquant une crise diplomatique sans précédent. Il devait le lendemain se rendre à Zurich mais son déplacement a été annulé. De même, plusieurs villes allemandes avaient annulé la venue du ministre, entrainant des tensions entre Berlin et Ankara. Mevlüt Cavusoglu s’est ridiculisé à Metz en qualifiant La Haye de “capitale du fascisme” et en se livrant à des outrances malgré la demande des autorités françaises d’éviter “les excès et les provocations”. La diplomatie française qui a voulu jouer la carte de l’apaisement a été une fois de plus bernée. Nous l’avions prévu : la position complaisante de la France envers la Turquie met de plus en plus notre pays en porte-à-faux.

Pas de liberté pour les ennemis de la liberté

“Pas de liberté pour les ennemis de la liberté”, ce cri de Saint-Just a déjà fait couler beaucoup d’encre et suscité mille controverses, mais la question mérite d’être posée quand il s’agit d’individus engagés dans la course au pouvoir absolu, qui entretiennent des conceptions hostiles aux libertés individuelles et collectives et entendent non seulement les appliquer sur leur territoire mais aussi les exporter au-delà. C’est le cas avec le Président Erdoğan et le parti islamiste au pouvoir. On n’en finit pas de rappeler le nombre de personnes incarcérées, le nombre de médias interdits, le nombre de fonctionnaires révoqués, le nombre de villes assiégées, le nombre d’habitations détruites, le nombre de civils déplacés. On n’en finit pas de dénoncer son ingérence en Irak, et surtout en Syrie où, sous prétexte de lutter contre « l’Etat islamique », il poursuit sa politique antikurde au Rojava. Peut-on accepter qu’Erdoğan, qui bafoue chez lui la démocratie, puisse utiliser sans vergogne nos principes démocratiques pour faire campagne chez nous ? Les pays européens ont répondu “non”, sauf la France qui persiste à considérer la Turquie comme un pays de droit : “le fait que le ministre turc puisse tenir son meeting tient aussi de la liberté de réunion”. Une déclaration qui fait tache dans le tableau d’une Europe unie contre les dérives autoritaires d’Erdoğan. Le gouvernement a perdu, là, une bonne occasion de dire “stop Erdoğan“.

Nos libertés menacées

“On se reverra le 16 avril”, tel est le message divulgué lors d’une une opération de piratage de ce mercredi matin, ciblant de nombreux comptes Twitter, message vidéo de 4 minutes mettant en scène Erdoğan et disant : ” Allemagne nazie, Pays-Bas nazis. Une petite gifle ottomane pour vous. On se reverra le 16 avril”.

Oui, nous nous sentons menacés dans notre pays. Faut-il rappeler ici que trois militantes kurdes ont été assassinées en plein Paris le 9 janvier 2013 par les sbires du MIT (services secrets turcs) et que le gouvernement français s’efforce d’étouffer l’affaire? Faut-il rappeler ici qu’Erdoğan a dépêché à Paris, comme ambassadeur Ismail Hakki Musa qui était, au moment des faits, directeur adjoint du MIT chargé des “affaires extérieures” ? Il est aujourd’hui à la manœuvre dans toutes les opérations d’intimidation entreprises sur le territoire français, sans soulever, à notre connaissance, de la part de notre gouvernement, la moindre protestation, ni déclencher la moindre sanction. Pourtant les faits sont graves : Il est scandaleux que des députés, élus du peuple français, soient priés, par un ambassadeur étranger en poste à Paris, de “s’occuper de leurs affaires ” au motif que l’un (Paul Molac, député du Morbihan) ait osé poser une question écrite au gouvernement français relative à la question kurde et que l’autre (Nathalie Appéré, députée-maire de Rennes) se soit inquiétée du sort réservé à sa collègue, Gültan Kışanak, co-maire de Diyarbakir, interpellée, destituée et incarcérée. Il est tout aussi scandaleux que, dans un pays comme la France, on ne puisse tenir une réunion, un débat, dont le sujet est la question kurde, sans que les organisateurs, ou les propriétaires des lieux, risquent de recevoir des lettres de menaces, au motif que les conférenciers seraient de dangereux terroristes. Ce fut le cas, par exemple, au centre social de Redon, à la Maison internationale de Rennes et même à la mairie du 1° arrondissement de Lyon.

André Métayer