Y a-t-il une solution politique à la question kurde? La Turquie ne s’est pas encore remise de ses coups d’Etat militaires

Depuis trente ans, les Kurdes mènent la lutte pour la reconnaissance de leur identité qui, aujourd’hui, s’appuie sur un programme cohérent basé sur plus de démocratie et plus de justice sociale. La Turquie, dernière au BIB (Bonheur intérieur brut) des 34 pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), ne s’est pas encore remise de ses deux coups d’Etat de 1960 et 1980 qui ont été fatals à la démocratisation de ce pays. Les élections du 12 juin prochain sont donc une étape importante pour tout le pays.

La bataille électorale bat son plein, à deux semaines des législatives, mais le peuple kurde est mobilisé depuis déjà de longs mois, très précisément depuis mars 2009, au lendemain des élections municipales et régionales qui ont vu, dans les régions kurdes, le succès du DTP (devenu BDP). Depuis aussi la vague de répression qui a suivi et qui s’est traduite par plusieurs milliers d’arrestations et d’incarcérations d’hommes et de femmes, cadres et militants du parti pro kurde, élus politiques ou associatifs, toujours en détention préventive.

Depuis des mois, des manifestations s’organisent quotidiennement autour des “tentes de la désobéissance civile” ; ces chapiteaux, régulièrement détruits par la police et patiemment réinstallés par la population, servent de points de ralliement et de discussion, de jour comme de nuit.

Les médias du monde entier ont parlé des manifestations et des luttes pour la démocratie dans les pays du Magreb et du Machrek et la place Tahir au Caire est devenue un symbole. Ils parlent de la répression sanglante en Syrie et des tentes dressées à Madrid et Barcelone par les “indignados” qui protestent contre le chômage, la précarité et les mesures d’austérité. Mais ils prêtent peu d’attention aux manifestations des Kurdes réprimées durement à Istanbul, à Diyarbakir, et ailleurs en Turquie.

Les élections en Turquie : la question kurde au centre de la campagne

Pour autant la question kurde est au cœur des préoccupations des candidats, y compris pour le parti majoritaire AKP, malgré la rebuffade que le Premier ministre, en campagne électorale, a essuyée à Hakkari transformée en ville morte à l’occasion de son passage.

Kemal Kılıçdaroğlu, surnommé “Gandhi”, président du principal parti d’opposition, le très nationaliste et kémaliste CHP (Parti Républicain du Peuple) s’est contre toute attente, lors de son passage à Hakkari – décidément étape incontournable pour tous les chefs de partis – prononcé pour une plus grande autonomie des collectivités locales : “si nous sommes au gouvernement, nous signerons sans réserves la charte du Conseil de l’Europe”. Il s’est aussi engagé à réduire le seuil des 10% qui empêche les partis politiques, hormis trois formations, à être représentés au Parlement de Turquie. Il s’est également engagé à créer une commission d’enquête sur les assassinats “à auteurs inconnus” commis dans les régions kurdes. Il a d’autre part critiqué la politique gouvernementale qui “ne respecte pas la volonté du peuple en jetant en prison ses élus” et s’est dit favorable à une certaine décentralisation dans le cadre d’un Etat unitaire. Il pourrait même accepter que l’enseignement initial puisse être dispensé dans une langue maternelle qui ne serait pas le turc. Leyla Zana, par meeting interposé, lui a déjà répondu : “nous voulons que nos couleurs, vert, jaune, rouge, flottent à côté du drapeau turc”. Il en faudra donc plus pour satisfaire les revendications kurdes, mais c’est déjà trop pour RT Erdogan qui dénonce ce qui pourrait être un certain rapprochement entre deux formations, membres de l’Internationale socialiste et du Parti socialiste européen.

Autre événement surprenant est le ralliement au BDP de toute une section du parti ultranationaliste MHP, celle du district de Baskale, situé près de la frontière iranienne, entre Van et Hakkari. Son président Ömer Bozkurt a assuré de son soutien le candidat député indépendant du BDP en déclarant aux journalistes : “je soutiens désormais le BDP, je veux être avec mon peuple”.

A noter également l’engagement, dans la campagne pour le droit à l’éducation dans la langue maternelle, d’organisations culturelles kurdes comme le MKM (Centre culturel de Mésopotamie) qui se traduit par des productions, littéraires et cinématographiques, qui devraient voir le jour sous peu.

Colloque organisé par la Coordination

C’est donc une question tout à fait d’actualité qui sera débattue le 30 mai prochain lors d’un colloque placé organisé à l’Assemblée Nationale par la Coordination Nationale Solidarité Kurdistan sous le haut patronage de Jean Paul LECOQ, Député, membre de la Commission des Affaires étrangères.

Quelle démocratie en Turquie? Les clefs pour une solution politique de la question kurde ? Quelle politique conduisent, à cet égard, les pays européens et les Etats-Unis? Nul doute que seront exposées les propositions du BDP et que sera pointée du doigt la politique menée par la France qui, sous prétexte de la lutte antiterroriste, adopte une attitude complaisante à l’égard d’Ankara. Les Kurdes ne croient plus aux soutiens des pays alliés de la Turquie au sein de l’OTAN : ils souhaiteraient, à tout le moins, que la France, les pays européens, l’Union européenne et les Etats-Unis respectent les revendications légitimes du peuple kurde et observent une stricte neutralité en s’abstenant d’encourager la politique belliciste de la Turquie.

André Métayer