Zehra, femme, kurde, artiste, journaliste, auteure, dont les œuvres sont exposées à Rennes, s’exprime à l’occasion de la journée internationale des Femmes

Chers amis,

Dans ce lieu où vous êtes emprisonné pour avoir exprimé librement vos pensées, pour avoir écrit ou dessiné, vous cherchez à tout instant, sur les murs, les failles possibles. Vous savez qu’arrivera ce moment où les rayons de lumière s’immisceront à l’intérieur, et vous l’attendez impatiemment.

Dans cette boîte empierrée sur quatre côtés, qui vous enferme, chaque message de soutien aide la lumière à faire éclater ces murs gris et à apporter la vie à l’intérieur.
Dans cet endroit où j’étais emmurée, vos soutiens m’ont entourée, enlacée. Je me suis sentie comme au cœur de branches vertes d’un lierre. Vivre avec cette sensation, dans un tel endroit, est le sentiment le plus beau au monde.
Grâce à cela, je fus forte, comme je ne l’ai jamais été à l’extérieur. Je vous remercie pour l’attention que vous avez portée à chaque phrase que j’ai écrite, et de votre soutien afin que je puisse faire entendre ma voix à l’extérieur.

J’ai été libérée de cette boîte qui me retenait prisonnière.

Mais, maintenant, je me trouve dans une boîte plus grande.

Dans ce pays, après chaque épreuve, une nouvelle vous attend, tel un jeu de poupée russe. Avec des interdits, on découvre d’autres empêchements.

En Turquie, alors que la liberté d’expression est un droit constitutionnel, hélas, chaque jour, des personnes sont emprisonnées seulement pour avoir exprimé leurs idées.

Actuellement, les prisons de la Turquie débordent de journalistes, d’intellectuels, d’auteurs, d’artistes ou personnes éclairées. De nombreux auteurs voient leurs travaux écrits en geôle, confisqués, les artistes ne peuvent accéder à leur matériel nécessaire pour créer.

Ici en Turquie, Ils s’ingénient à créer des citoyens unicellulaires d’un pays monotype.

Il est question encore, dans les prisons, de tortures et de graves violations de droits.

Dans les prisons turques : des bébés, des personnes âgées, des malades

Des centaines de bébés et d’enfants en bas âge sont incarcérés avec leur mère. Ces enfants ne savent pas ce que signifie une fleur. Ils ne connaissent ni le parfum, ni la texture de la terre. Ces bébés ne voient jamais le soleil.

Dans les prisons, des dizaines de personnes âgées sont toujours incarcérées. Ces anciens ne sont souvent pas capables d’agir seuls, même pour leurs besoins quotidiens.

Des détenus malades perdent la vie, après des dizaines d’années d’emprisonnement, sans avoir pu jamais revoir l’extérieur. Des familles ne cessent d’organiser les funérailles de leurs proches prisonniers malades.

Aujourd’hui, une grève de la faim initiée par Leyla Güven, députée, élue d’ailleurs en incarcération, se poursuit avec la participation de centaines d’autres prisonniers et prisonnières. Utiliser leur corps reste leur seul outil, pour une action revendicative. Ces grévistes sont dans un état critique. J’en suis convaincue, pour une vie égalitaire et libre, les auteurs, les artistes doivent de leur côté encore intensifier leur combat.

C’est grâce à votre soutien que je suis aujourd’hui une nouvelle Zehra, plus insistante dans ses propos, et qui parvient à transmettre sa propre dynamique de lutte.

Je remercie infiniment le PEN international, toutes les organisations, associations et personnes, des artistes et auteurs, pour leur précieux soutien. Et particulièrement celles et ceux qui ont contribué à l’organisation de cette exposition à Rennes.

Je leur fais la promesse de tenir mon crayon d’une main encore plus assurée.

Zehra Dogan, Istanbul, le 2 mars 2019

05032019-dscf4090.jpgTexte lu par Laetitia Boursier, vice-présidente des AKB (avec l’aimable autorisation de Naz Oze de Kedistan), le mardi 5 mars lors de l’inauguration des œuvres picturales de Zehra Dogan exposées au Carré Lully, galerie de l’Opéra à Rennes, en présence de Jocelyne Bougeard, adjointe à la maire de Rennes déléguée aux relations internationales et aux relations publiques, de Matthieu Rietzler, directeur de l’Opéra de Rennes, de Ghania Boucekkine, présidente de la MIR, des co-président-e-s du Conseil démocratique kurde de Rennes, de Daniel Fleury de Kedistan, d’une délégation de femmes kurdes et de nombreux amis rennais.

André Métayer

    • Exposition ouverte du mardi au samedi de 13h à 19h
  • Conférence-débat le 10 mars à 18h30 à la Maison Internationale
  • Concert le 15 mars à 21h au bar BabaZula, 182 avenue du Général Patton à Rennes
  • Marche pour la journée Internationale des Femmes le 8 mars à 14h de la dalle du Colombier à la place de la Mairie, organisée par l’association des femmes kurdes de Rennes Zin 35 et le CDK-R, “pour acter la lutte des femmes dans le monde pour l’émancipation et la liberté”