« Comment Erdoğan traque ses opposants jusqu’à Paris »

Des agents turcs mènent en Europe des opérations clandestines en toute impunité. C’est ce que révèle une remarquable enquête parue dans Le Point n° 2563 du 23 septembre 2021, signée de Laure Marchand, journaliste, correspondante pendant dix ans du Figaro et du Nouvel Observateur en Turquie. Elle est aussi l’auteure de plusieurs livres, dont “Triple assassinat au 147 rue La Fayette” (Actes Sud ; 2017) concernant l’assassinat de nos trois amies Leyla Söylemez, Sakine Cansiz et Fidan Dogan, que nous connaissons sous le nom de Rojbîn, par les services secrets turcs (MIT) au siège du Centre d’Information du Kurdistan de Paris le 9 janvier 2013.

L’enquête belge

Le point de départ des investigations de Laure Marchand est l’enquête belge qui “offre une plongée inédite au sein des activités clandestines que le régime turc mène en Europe”. Dans cette affaire, parmi les prévenus apparaissent Yakup Koç, dit “le colonel”, le chef du réseau qui voyage beaucoup entre la France et la Belgique, son cousin, un certain Zekeriya Çelikbilek, un électricien franco-turc, chef hiérarchique d’un certain Haci Akkulak, une petite main sans doute préposée aux exécutions de basses œuvres. Il semble avoir été programmé pour exécuter Zübeyir Aydar et Remzi Kartal, co-présidents du Congrès du Peuple du Kurdistan (KONGRA-GEL) qui figurent sur la liste des personnes les plus recherchées en Turquie. L’enquête préliminaire conduite par la sous-direction antiterroriste de la police en Belgique (SDAT) révèle un second groupe turc basé dans la région parisienne, qui gravite autour de ce Zekeriya Çelikbilek, un proche d’Ismail Hakki Musa, ambassadeur de Turquie à Paris de 2016 à 2021 et n°2 du MIT en 2013, au moment du triple assassinat de la rue La Fayette.

Ismail Hakki Musa

Zekeriya Çelikbilek, interrogé par la SDAT, aurait, d’après Le Point, désigné l’ambassadeur Ismail Hakki Musa comme le “responsable de la coordination” du projet d’assassinat de Zübeyir Aydar et Remzi Kartal.

Ariane Bonzon, autre journaliste spécialiste de la Turquie et du Proche-Orient rapportait cette phrase d’Ismail Hakki Musa, lors d’une interview parue sur Slate en 2018 : “je suis avant tout dévoué à la nation turque. Il y a un principe qui dit que tout ce qui n’est pas légal n’est pas nécessairement illégitime”. “On peut difficilement être plus clair,” soulignait Ariane Bozon.

Dans le JDD du 14 mars 2021, Laure Marchand écrivait : “après quatre ans et demi à la tête de d’ambassade de la République de Turquie en France, Ismail Hakki Musa rentre dans son pays, remportant dans ses valises les dossiers sombres de l’activité des services secrets turcs sur le territoire européen. Il a officialisé vendredi soir son départ – effectif samedi -, dans une lettre diffusée par un tweet de l’ambassade. Protégé par son immunité diplomatique, cet ancien directeur adjoint du MIT, l’organisation nationale du renseignement turc, nommé à Paris en 2016, n’aura jamais été inquiété par les autorités françaises”.

Agit Polat, porte-parole du Conseil démocratique kurde en France (CDK-F) dénonce l’apathie de la France dans le triple assassinat au 147 rue La Fayette en 2013, il y a bientôt 8 ans : “si la France n’avait pas un intérêt politique dans cette affaire, il y a bien longtemps que le secret-défense serait levé”.

André Métayer

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