Savoir finir une grève de la faim, exercice difficile

Au 68ème jour, les prisonniers politiques kurdes dans les prisons turques ont, à la demande d’Abdullah Öcalan, mis fin à leur mouvement de grève de la faim, mouvement d’une ampleur sans précédent. Ils ont obtenu du gouvernement islamo-conservateur Erdoğan un projet de loi autorisant les Kurdes à se défendre dans leur langue maternelle devant les tribunaux. C’est à la fois peu et beaucoup.

C’est peu

C’est peu au regard des revendications qui demandaient aussi le droit d’apprendre et de parler librement sa langue maternelle et surtout l’élargissement des conditions de détention du leader historique Abdullah Öcalan, considéré par une grande majorité des Kurdes comme leur président, détenu depuis 13 ans dans des conditions d’isolement particulières sévères. Au travers de ces revendications, c’est, en fait, la libération d’Apo (Öcalan) et de tous les détenus politiques qu’exige le peuple kurde.

C’est beaucoup

Mais c’est en fait beaucoup. C’est la première fois que le pouvoir recule : la mobilisation de la société civile et politique kurde, largement associée au mouvement initié dans les prisons et les nombreuses manifestations de Kurdes au Kurdistan, en Turquie, en Europe, et même au-delà (Tokyo, Toronto) ont montré la détermination d’un peuple et ont fini par alerter l’opinion publique et différentes formations et assemblées politiques européennes. La perspective de devoir gérer les conséquences de nombreux décès de détenus et celle de voir se dégrader l’image de la Turquie au plan international ont sans doute fait aussi réfléchir l’inflexible Erdoğan qui, rodomontades en avant-scène, négociait en coulisse une sortie de crise.

L’incontournable Öcalan

La presse turque l’avoue, l’AFP l’admet, la position d’Abdullah Öcalan sort renforcée de ce conflit : “la façon dont s’est terminée le mouvement illustre la position de force d’Öcalan qui reste malgré son emprisonnement un acteur incontournable dans le conflit kurde en Turquie”.

Öcalan continuait à diriger le mouvement de résistance par avocats interposés, depuis 1999 du fond de sa prison à Imralı. Durant des années, des envoyés du gouvernement sont aussi venus lui rendre visite pour discuter d’une solution négociée pour la question kurde. Puis, devant la menace sortie des urnes le 29 mars 2009, qui a consacré une victoire kurde sans précédent aux élections locales et régionales, Erdoğan a cherché à passer en force en privilégiant la solution militaire : bombardement des positions du PKK en Irak, interdiction du parti pro-kurde DTP (remplacé aussitôt par le BDP), arrestations massives d’élus et de cadres du BDP, arrestation d’une centaine de journalistes et d’une cinquantaine d’avocats dont ceux d’Öcalan quant à lui soumis depuis 14 mois à un isolement renforcé. Face à cette position approuvée par les partisans de la manière forte, nationalistes kémalistes et islamistes, les forces armées du PKK changent de stratégie et passent de la guérilla à l’occupation partielle de régions entières, le PYD (parti kurde syrien, ami du PKK) occupe le Kurdistan occidental, région syrienne kurde frontalière de la Turquie, les élus locaux et régionaux du BDP et la société civile créent le KCK (Union des Communautés du Kurdistan) devenue la bête noire d’Erdogan et les détenus politiques, fine fleur de la résistance, entament une grève de la faim “jusqu’à la mort”, créant les mouvements de solidarité que l’on sait.

Les responsables des services secrets turcs (MIT) ont donc repris le bateau pour Imralı et engagé des négociations avec celui qui reste un interlocuteur incontournable. On ne connaît pas la teneur des discussions mais un premier pas a été fait. Est-ce le prélude d’une nouvelle ère ou un marché de dupes ? L’avenir le dira.

André Métayer