Accord UE – Turquie : à qui profite l’argent de l’Union européenne ?

Tony et Brivael, des Amitiés kurdes de Bretagne, n’ont pas manqué, après avoir célébré la fête du Newroz à Diyarbakir avec la délégation formée par la Coordination nationale Solidarité Kurdistan, de rendre visite aux réfugiés du camp yézidis de Fidanlik, avec la recommandation de Feleknas Uca, députée HDP? de Diyarbakir (anciennement députée européenne allemande), elle-même yézidie. Ils ont recueilli informations et témoignages de première main.

André Métayer

Le 18 mars dernier, l’Union européenne et la Turquie ont signé un accord concernant les réfugiés et les déplacés qui essayent de quitter la Turquie pour rejoindre le continent européen. Le gouvernement turc estime à 2,7 millions le nombre de réfugiés et de déplacés sur son territoire ; l’Union européenne estime à 6 milliards le prix à payer pour que ces millions de vie restent de ce côté de la Méditerranée. Vu du ciel, le sol turc est constellé de taches blanches, des dizaines voire des centaines de points, entassés, serrés les uns à côté des autres qui semblent créer une nébuleuse d’étoile. Ces nébuleuses se déploient dans tout le sud de la Turquie, de tailles différentes, recueillant des populations de divers horizons mais abritant toutes la même misère. Derrière l’estimation officielle de 2,7 millions de réfugiés en Turquie se cache une réalité beaucoup plus amère.

Fidanlik

Le camp de Fidanlik se trouve à quelques 20 kilomètres de Sûr, le quartier martyr de Diyarbakir. Créé en août 2014 pour recueillir les réfugiés yézidis qui fuient alors l’attaque de Sinjar par l’Etat islamique, il accueille à l’époque plus de 7 000 réfugiés. Plus de 400 000 personnes ont alors fui cette région et se trouvent maintenant dans des camps similaires à celui de Fidanlik, répartis à travers toute la Turquie. Plusieurs dizaines de milliers de Kurdes et Yézidis fuient maintenant les villes sous couvre-feu, occupées par l’armée turque. Ces déplacés, ces réfugiés ne sont pas officiellement reconnus par le gouvernement turc, ces camps et ces associations ne reçoivent donc aucun soutien, aucune forme d’aide de l’Etat.

La situation du camp de Fidanlik est très précaire :

nous avons actuellement uniquement de quoi financer l’approvisionnement en nourriture du mois prochain : c’est de cette manière que nous fonctionnons depuis le début de la création du camp. La mairie de Diyarbakir nous a soutenus dans un premier temps mais elle s’est vite trouvée débordée par la situation. Les soutiens apportés par l’association Rojava et les divers mouvements kurdes sont indispensables. Le HDP nous fournit une aide précieuse et des jeunes médecins des Kurdes patriotes fournissent des soins gratuitement.

L’accès aux soins est l’un des principaux problèmes auxquels les camps sont confrontés, rappelons que les Yézidis ne sont pas soignés dans les hôpitaux turcs. Les YDG-H (Mouvement de la Jeunesse patriotique révolutionnaire), que le gouvernement cherche à diaboliser en mettant en lumière une supposée filiation avec le PKK, ne sont pas clairement nommés mais l’importance de leur aide est, elle, clairement sous-entendue.

L’une des bénévoles de Fidanlik explique :

depuis juin, nous recevons de l’aide de Doctor World Wide qui a établi des centres de premier secours dans le camp et nous permet d’avoir des infirmières, des psychologues et une sage-femme. Il n’y a aujourd’hui plus que 1 300 réfugiés dans le camp, près de 6 fois moins qu’il y a quatre ans. Un grand nombre de réfugiés ont déserté les camps pour l’Europe, principalement vers l’Allemagne. On ne peut pas les en empêcher, ces sont des réfugiés mais ils restent libres de leurs mouvements. On ne peut les empêcher de vouloir trouver un endroit loin de la guerre où élever leurs enfants et protéger leurs familles.

La gestion des réfugiés

Selon les dernières estimations du personnel qui travaille bénévolement dans les camps et de Raci Billici, président de la section IHD de Diyarbakir (Association turque des Droits de l’Homme), il y aurait entre 4 et 5 millions de réfugiés et de déplacés à travers toute la Turquie. Deux types de camp les accueillent. Il y a d’une part ceux gérés par le gouvernement qui reçoivent l’aide envoyée par les associations internationales et l’Union européenne et qui prennent principalement en charge les réfugiés arabes de Syrie et, d’autre part, ceux gérés par des associations, par des municipalités, qui fonctionnent uniquement grâce aux dons, aux solidarités mécaniques locales et qui accueillent les minorités victimes de la guerre en Turquie, en Irak ou en Syrie. Il y a une totale opacité quant à la situation et aux conditions de vie des réfugiés dans les camps gouvernementaux. Raci Billici estime le nombre de réfugiés dans ceux-ci à seulement 300 000. Le reste des réfugiés se trouvent dans les rues des grandes villes où sévissent commerce de femmes et d’enfants, prostitution et trafic de drogue. Des rumeurs circulent sur ces camps : on a entendu plusieurs fois qu’ils abriteraient des centres de formation des forces spéciales, que des Afghans, des Arabes et des Tchétchènes y seraient formés et que ce sont ces mêmes hommes qui auraient commis les atrocités à Sûr et à Cizre.

Les fonds débloqués par l’Union européenne n’atteindront pas ces minorités

La grande majorité des réfugiés et des déplacés yézidis et kurdes sont dans des camps non soutenus et non reconnus par l’Etat. Les fonds débloqués par l’Union européenne n’atteindront pas ces minorités qui constituent une part importante des déplacés et des réfugiés sur le sol turc. L’argent versé au gouvernement d’Erdoğan servira à financer ces camps gouvernementaux dont très peu connaissent le fonctionnement, auxquels très peu de personnes ont accès et restera ainsi dans les mains d’un pouvoir qui continue sa politique de négation envers les Kurdes et les diverses minorités qui peuplent son territoire.

Tony Rublon