Aller plus loin dans les sanctions contre la Turquie

Le Conseil européen (composé des chefs d’État ou de gouvernement des 27 États membres de l’UE, du président du Conseil européen et du président de la Commission européenne) a décidé le 11 décembre de sanctionner les activités « illégales et agressives » de la Turquie en Méditerranée contre la Grèce et Chypre – des travaux d’exploration gazière – par des actions ciblées : l’idée serait de serrer la vis progressivement. Ces sanctions n’ont pas semblé émouvoir le président RT Erdoğan qui s’en est moqué ouvertement : “une quelconque décision de sanctions de l’UE n’est pas un grand souci pour la Turquie“, a-t-il déclaré. Mais dès le 18 décembre, il cherchait quelque appui auprès d’Angela Merkel, la remerciant pour ” ses contributions constructives et ses efforts en faveur des relations Turquie-UE” et en déclarant à la Chancelière que la Turquie voulait ouvrir une nouvelle page dans ses relations avec l’UE.

Il faut dire qu’il venait de recevoir une douche froide des Etats-Unis qui, suite à l’acquisition par la Turquie du système de défense anti-aérienne russe S-400, décidaient d’interdire l’attribution de tout permis d’exportation d’armes au SSB (commandement de cyberdéfense turc), l’agence gouvernementale turque en charge des achats militaires.

La Turquie n’est pas un Etat de droit : il faut en tirer les conséquences

La politique de la Turquie émeut donc aujourd’hui les pays européens, les Etats-Unis et même l’OTAN : la Turquie n’est plus un allié sûr, le deal entre Erdoğan et le président Poutine a ouvert les yeux des plus incrédules. Erdoğan, qui s’appuie sur deux leviers, l’islamisme et le nationalisme, ne connait que les rapports de force et son agressivité est sans limites. Même le président de le République française est devenu une cible d’Erdoğan, dont les réseaux plus ou moins dormants deviennent, en France même, de plus en plus menaçants. Mais ce n’est pas nouveau : nous avons dénoncé les provocations turques à Rennes (2007 et 2016), à Redon (2016) et à Brest (2013 et 2018). Nous n’avons pas oublié non plus l’assassinat à Paris, le 9 janvier 2013, de trois militantes kurdes, Sakine, Fidan et Leyla, par le MIT. Une manifestation est prévue à Paris le samedi 9 janvier prochain pour exiger vérité et justice :

il ne suffit pas d’interdire les Loups gris ou de menacer la Turquie de sanctions qui n’aboutissent pas. Si la France veut lutter contre l’expansion du fascisme et de l’islam politique turc, elle doit avant tout juger les crimes commis par le régime turc sur le territoire national. C’est la première étape, fondamentale, pour dire STOP à Erdoğan (communiqué du CDKF).

La question délicate de la légitimité de la lutte armée

Les sanctions économiques sont nécessaires mais pas suffisantes. Il faut faire savoir au monde entier que les opposants à la politique présidentielle, qui croupissent nombreux dans les prisons turques, ne sont pas des terroristes mais les premières victimes au rang desquels figurent les Kurdes, qu’ils soient universitaires, avocats, journalistes, députés, maires, militants du parti légal HDP ou combattants du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK).

Les AKB posent depuis 25 ans la question délicate de la légitimité de la lutte armée dans un pays de non droit, sans ignorer pour autant que la lutte armée n’est pas une fin en soi et que toutes les volontés doivent tendre à trouver une solution politique et négociée entre les belligérants. La confusion entretenue entre lutte armée et terrorisme mérite d’être levée.

La France s’honorerait d’estimer, comme l’a fait la Cour de Cassation de Belgique le 28 janvier 2020, que le PKK, mouvement révolutionnaire kurde, fait partie d’un conflit interne à la Turquie et ne peut donc, à ce titre, être considéré comme une organisation terroriste. Retirer le PKK de la liste des organisations terroristes porterait un coup sévère au dictateur Erdoğan.

André Métayer