Bartella, Diyarbakir : ville libérée, ville occupée

« Ceci est la base de l’unité militaire du martyr Abu Omran » : sous un soleil de plomb, au milieu d’une plaine désertique sur la route de Mossoul, ces quelques mots d’arabe annoncent que nous entrons en zone sous contrôle des soldats du groupe Etat islamique (EI) jusqu’il y a peu, une région soumise à la folie d’hommes aux ambitions destructrices. Le drapeau noir du califat a été remplacé il y a quelques jours par les multiples drapeaux qu’arborent les différentes forces armées irakiennes. La ville a alors pu retrouver son nom mais n’y restent que décombres, ruines et chaos : Bartella porte les stigmates hallucinés d’un conflit qui ne fait que commencer – ou qui ne s’est jamais arrêté.

Dans cette ville cohabitaient Assyriens et musulmans, alors que les villages alentours étaient peuplés par les Shabaks, l’une des minorités religieuses et linguistiques de la plaine de Ninive. La cohabitation n’était pas sans tensions internes, mais le mois de juin 2014 marque une rupture violente : les sunnites prennent le contrôle de la ville et ciblent les chrétiens qui s’organisent alors en groupe d’auto-défense armé. Au début du mois d’août, la rumeur qui précède l’arrivée de l’EI pousse les habitants encore présents à fuir in-extremis, trouvant refuge dans des camps autour d’Erbil.

La ville est alors occupée par l’Etat Islamique qui la reconstruit à son image : chaotique. Les rues portent de nouveaux noms : ceux des soldats « martyrs » de l’EI. Les maisons deviennent propriété des soldats du califat, les phrases écrites sur les murs font de « ces biens immobiliers la propriété de l’Etat Islamique ». L’école est détruite et ces mots scarifient les murs d’une rue alentour : « Un livre qui instruit et une épée qui mène à des victoires ». Les églises sont pillées, brûlées, les peintures et sculptures détruites, les biens matériels volés. Les lieux sont minés et des bombes artisanales remplissent ces lieux sacrés d’un vide morbide.

Pendant ces deux années d’occupation, les soldats de l’EI ont creusés des tunnels communiquant à divers endroits des villes de Qaraqosh et de Bartella. Le 20 octobre dernier, les Forces spéciales irakiennes ont réussi à prendre le contrôle de Bartella mais, à cause de ces réseaux souterrains, la situation est plus compliquée à Qaraqosh. Des soldats de l’EI errent encore dans ces tunnels, surgissant des entrailles de la terre, au plus près de la mort, leur fidèle alliée. Luttant contre un ennemi affaibli mais invisible, prés de 500 soldats des NPU (Unités de Protection de la Plaine de Ninive) se battent à Qaraqosh avec pour seule ambition de défendre cette ville, lieu hautement emblématique pour les chrétiens de la plaine de Ninive.

« Ce n’est pas tant l’armée de l’EI qui nous menace , mais leur idéologie extrémiste aveuglante » explique le colonel des forces spéciales irakiennes Safa Ammed Hamet. « Il faut lutter par l’éducation, ne pas laisser ces horreurs se reproduire. Il faut éduquer les générations futures ». Au loin, le soleil se couche sur les antennes de communication installées à l’entrée des faubourgs est de Mossoul. Mossoul où, d’ici quelques semaines, se déroulera un combat dont il est impossible de prévoir les conséquences ou même la durée, mais dont les civils seront vraisemblablement les premières victimes. Mossoul, lieu d’expression de l’idéologie extrémiste des Islamistes de l’EI en Irak et diversion pour le gouvernement autoritaire d’Ankara, qui se sert de l’attention portée par les médias sur cette offensive pour bafouer la démocratie et lancer une énième attaque contre les Kurdes de Turquie avec l’arrestation des co-maires de Diyarbakir.