En 1999, Abdullah Öcalan s’imposait déjà comme un interlocuteur incontournable

Il n’est pas dans mon propos de répondre point par point, dans le détail, au réquisitoire de Monsieur le Procureur général, mais de me pencher sur la question principale, à savoir la possibilité d’aménager un compromis et de trouver une solution historique à la question kurde, incluant le PKK en tant qu’instigateur du dernier soulèvement qu’on peut qualifier de guerre à moyenne portée et dans lequel j’ai œuvré pour créer les conditions d’une paix négociée.

C’est ainsi que commence la longue plaidoirie d’Abdullah Öcalan, chef charismatique du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), lors de son procès devant la Cour de sûreté d’Ankara (31 mai-5 juin 1999) après son arrestation le 15 février 1999 dans des conditions dignes d’une machination internationale politico-barbouzarde. C’est dans ce contexte particulièrement difficile qu’Abdullah Öcalan est apparu publiquement en homme d’État, alors que d’aucuns ne voulaient voir en lui qu’un chef de guerre “tueur d’enfants” qu’il fallait “pendre haut et court”. Ses ennemis ont brocardé ses propos et certains de ses amis n’ont vu que la plaidoirie d’un lâche voulant “sauver sa peau”. Le Monde du 10 novembre 1999 titrait imprudemment : « Abdoulla Ocalan, la fin d’un Mythe. » Pourtant, il était patent qu’Abdullah Öcalan, fort du soutien du peuple kurde, allait s’imposer comme un interlocuteur incontournable avec lequel la Turquie a du négocier. Il aura fallu 14 ans de cachot avant que ce message d’Öcalan de 1999, actualisé lors du Newroz 2013, soit audible pour la presse et la communauté internationale.

La plaidoirie de 1999 pointe la responsabilité de l’État turc

Pour Abdullah Öcalan, la question kurde aurait été facilement solutionnée dans le cadre d’un système démocratique :

sous les cendres des années passées nait une révolte qui se propage. Une violence sans bases populaires n’aurait pu se propager avec une telle intensité. Tout le monde connaît les limites du terrorisme individuel : c’est violent, erratique, dangereux et, qui plus est, un délit, tandis que dans le cas qui nous préoccupe, il s’agit d’un affrontement dont le bilan dépasse largement celui d’une guerre : comment cette rébellion pourrait-elle perdurer si son action violente n’était pas l’expression d’une question importante concernant tout un peuple ?

(“Ma Défense” 1999).

C’est la raison pour laquelle l’État turc, avec son armée, la deuxième armée de l’OTAN, n’arrivera pas à gagner la partie : “si tu ne nous acceptes pas librement, tu devras sans cesse combattre le séparatisme et les révoltes.”

Abandon de la lutte armée en échange de garanties législatives et constitutionnelles

Dans sa plaidoirie, Abdullah Öcalan, récusant l’accusation de séparatisme, dénonçait l’ultra-nationalisme turc qui bloquait toute réforme, le féodalisme kurde,

cette classe, collaborationniste, rétrograde, séparatiste et antidémocratique qui a entraîné la question kurde dans une impasse

et l’utopie révolutionnaire à laquelle avait participé le PKK :

le PKK aurait dû abandonner le programme des années 1970 et faire de nouvelles propositions. Il aurait dû renoncer à revendiquer inutilement un espace géographique et un état séparé.

Pour autant, la renonciation à la lutte armée ne peut se faire qu’en échange de garanties législatives et constitutionnelles concrètes, précisait-il. C’est la raison pour laquelle il préconisait, dans cette attente, de garder intactes les forces armées que constitue la guérilla.

Un peuple sur plusieurs États, plusieurs peuples se partageant un même État

Sur la table des négociations qu’il appelait de ses vœux, Öcalan proposait et propose toujours un concept reposant sur l’axiome suivant : un peuple peut vivre sur plusieurs États et plusieurs peuples peuvent cohabiter à l’intérieur d’un État, à condition qu’il soit démocratique.

La cohabitation entre Kurdes et Turcs remontent au dixième siècle : ils sont liés comme l’os et la chair et ont préféré vivre en bonne intelligence plutôt que se livrer bataille. Les Kurdes sont aussi fondateurs de la république : ils ont, au même titre que les Turcs, combattus pour la liberté, lors de la guerre de l’Indépendance. […] Je tiens à redire ici que notre stratégie, reposant sur le concept d’une union dans le cadre d’une République démocratique, est le fruit des enseignements tirés de notre lutte et nous apparaît comme étant la voie la plus juste pour arriver à résoudre la question kurde.

(“Ma Défense” 1999).

Son message de 2013 s’adresse aussi à tous les peuples du Moyen-Orient, les invitant à s’unir au sein d’une « Conférence de la paix et de la solidarité nationale » :

aujourd’hui, nous nous éveillons à une nouvelle Turquie, un nouveau Moyen-Orient et un nouvel avenir.

André Métayer